Steven Soderbergh tourne beaucoup, au rythme de deux films par an, et il s'agit d'ailleurs de la sixième critique que je lui consacre, ce qui ne doit pas être loin d'un record. Alors, pas étonnant qu'il ne soit pas Terrence Mallick. Pas étonnant non plus qu'il y ait du déchet dans cette filmographie diarrhéique, et que, si le très bon s'est fait rare depuis longtemps ("Traffic" ? "Che : Guerilla" ?), le bon et le moins bon alterne régulièrement. Ce "Magic Mike" se situe un peu entre les deux, plutôt bon par le film qu'il aurait pu être, pas vraiment très bon par le film qu'il est, la faute à une certaine mollesse et à l'abandon de pistes intéressantes.
La genèse du projet vient de sa rencontre avec Channing Tatum qui a commencé sa carrière comme strip-teaseur, et à qui Soderbergh, intéressé par le potentiel narratif et cinématographique de ce milieu si particulier, a demandé d'écrire le synopsis. Et effectivement, il y a un vrai potentiel, parfaitement exploité sur la première moitié du film, quand on regarde toute cette entreprise de strip-tease masculin comme une parabole de l'Amérique d'aujourd'hui : peu importe la fin, peu importe les moyens, à partir du moment où on peut se faire du fric. On parle d'argent d'un bout à l'autre du film, et nombreuses sont les scènes qui illustrent l'adage qui dit que l'argent n'a pas d'odeur...
Cette apologie de l'ultra-libéralisme a son jedi : Dallas (joué par un Matthew McConaughey survitaminé), lui-même ancien strip-teaseur et proprio de la boîte qui proclame que son fils n'ira pas à l'école pour rester scotché devant les émissions financières de la télé, et son padawan, le jeune Adam qui vit son "dépucelage" dès sa première soirée à l'Xquisite, et à qui Dallas apprend les ficelles du métier le lendemain dans une scène assez drôle. Le but, c'est de faire du fric, essentiellement sous forme de billets verts glissés dans le string, et pour cela il faut séduire la clientèle, bien entendu exclusivement féminine. Le fond de commerce de ce public d'enterrement de vie de garçon évoque curieusement (ou pas, d'ailleurs) les clichés de la culture gay, et on retrouve des personnages à la Village People sur une chorégraphie de boys band, tout du moins jusqu'au moment où il faut aller au devant de son public. D'ailleurs, quand elle découvre le nouvel attirail d'Adam, sa soeur lui déclare que ses préférences n'ont pas d'importance et que quoiqu'il en soit il restera toujours son frère ! Visiblement, Soderbergh jubile a montrer le mauvais goût de ce concept artistique, dont le climax est sans doute la choré spéciale 4 juillet, qui concentre toutes les vertus américaines : patriotisme, sexe et libre entreprise.
A ce monde en roue libre entre alcool, extasy, sexe facile et appât du gain (la traduction européenne pourrait être footballeur professionnel !), il fallait un contrepoint. Il y en a deux ici : celui du personnage de Brooke, la grande soeur d'Adam, secrétaire médicale qui a la tête bien sur les épaules, ce qu'Adam et ses potes traduisent par "elle est un peu coincée". Plus intéressant, il y a un contrepoint interne, à savoir Mike lui-même, qui ne se contente pas de la vanité de son succès du moment, mais qui cherche à construire quelque chose, à savoir une entreprise de meubles customisés. On le voit donc en costard en train d'expliquer à la banquière qui s'apprête à lui refuser un prêt que l'origine de son gros paquet de billets froissés n'a rien d'illégal. Soderbergh souligne d'ailleurs l'opposition entre les deux mondes par l'usage d'un filtre jaune qui donne une couleur mordorée un peu iréelle à la vie de l'extérieur, alors que les couleurs des scènes à la boîte sont elles nettement plus criardes et clinquantes.
N'étant ni un adepte de la salle de sport, ni fasciné par l'intérêt visuel de corps mâles huilés, j'ai trouvé que les passages à l'Xquise s'étiraient un peu, et que l'ironie des scènes initiales laissait la place à un cahier des charges aux intentions plus douteuses. Plus dommageable encore, le récit perd de vue des pistes entrouvertes, comme le lien avec les dealers ou l'opposition entre la facilité du gain "amoral" et la difficulté à monter une entreprise "honnête", tout cela au profit de la préparation d'une happy end prévisible et convenue. Ce film frivole et mélancolique se laisse regarder malgré quelques longueurs, et rejoindra la liste des films précédents de Soiderbergh, vite vus, vite oubliés.
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