20 ans avant la mythologique Rue de la honte, Mizoguchi s'intéressait déjà (et pour cause, ses parents ayant vendu sa soeur au bordel lorsqu'il était jeune) au sort des prostituées, ici dans le mythique quartier des geishas de Kyoto, Gion. Deux soeurs, l'aînée accepte d'être utilisée par les hommes, pensant réputation et obligation, la cadette refusant en bloc cette soumission, mettant en avant son éducation pour affirmer son refus. Un peu comme Wakao Ayako 20 ans plus tard, elle décide de manipuler les hommes, leur extorquant argent et cadeaux, n'hésitant pas à être odieuse, comme si elle se devait d'être pire que les hommes (qui, bien que lâches et irresponsables, ne se voient pas privés de leur humanité, un peu comme dans Barry Lyndon) pour échapper à leur domination. Si comme Redmond Barry, cette prise d'initiative va la mener à une situation radieuse, elle aura dans le même temps semé les graines de sa vertigineuse chute, se mettant même sa soeur à dos. La bouleversante scène finale du film expose l'impossibilité pour une personne seule de changer durablement son statut, malgré son obstination jusqu'au boutiste. L'aînée ne s'en sort pas mieux. Le film résonne encore aujourd'hui où l'émancipation des femmes est encore embryonnaire au Japon. La cadette a ternie définitivement sa réputation, mais y a-t-il un autre moyen que la rébellion pour améliorer son statut? Oui, mais cela ne passe que par un mouvement global, visiblement impensable tant que les traditions passent avant l'intérêt commun. Du côté de la technique, on sent les moyens légers. Les caméras saccadent un peu. Toutefois, on ressent dans les plans longs et distants et la science du mouvement de caméra et d'occupation de l'espace les prémices du cinéma qui dépassera Dreyer et Murnau. Par contre, la photo et la lumière n'ont pas encore atteint le niveau stratosphérique des années 50.
Un film intelligemment féministe comme il y en a peu, les femmes n'étant ici pas idéalisées comme chez Cukor & co.