Le film s'ouvre sur les mouvements hoûleux d'un bord de mer d'où émerge une voix off ; un poème de Ingrid Jonker. La mer, muette, l'est toujours à la fin du film dans un immense plan qui se déploie sur elle comme sur le poème, plus symbolique encore, et dit par Nelson Mandela lors de son discours au Parlement sud-africain en 1994. On peut voir dans ces deux plans simples et beaux une fonction symétrique qui évoque tout ce que le film tente de construire entre eux - sans y arriver, à savoir l'utilisation de la poésie de Jonker pour donner une voix à ceux qui n'en ont pas. Le film, qui génère d'emblée un certain plaisir car il donne à découvrir une artiste souvent méconnue au-delà de son pays et d'une grande richesse humaniste, touche donc à une volonté politique, en fait bien vite évacuée sous le signe d'un geste humanitaire. Le problème de la réalisatrice, c'est que son biopic ne va jamais au-delà de son sujet premier qui n'est que la description toute tracée d'une figure d'artiste maudite par la vie, alors que le véritable sujet du film était peut-être la parole et la parole. Celle du milieu intellectuel blanc et celle des civils noirs révoltés durant les conflits au sein de l'Apartheid. Mais aussi leur réponse, leur écho dans l'oeuvre de Jonker. Car mis à part la citation de poèmes pour la plupart en voix off, le dialogue n'est jamais offert aux minorités, aux opprimés et c'est pourtant de cela que parle le film. Le scénario est à ce point centré sur l'iconographie féminine qu'il en oublie le contrechamp qui anime pourtant l'humanité du personnage. Jusqu'au point de traiter le décor de Cap Town à sa réduction primitive de tropiques et de bords de mer. Les tensions raciales et les conditions sociales du peuple noir sont évoquées dans un geste manichéen proche de l'opération anesthésique alors que les groupes intellectuels que nous suivons se battent furieusement contre cette injustice. De quoi alors parle le film si ce n'est pas de l'enrichissement culturel, dialectique, poétique? Comme souvent dans un biopic, le récit ne se focalise sur rien d'autre que le parcours de l'artiste et ses balises repères. Quand bien même le film, jouant la carte du classicisme à ce niveau, n'est pas d'une grande intensité de mise en scène tant la joliesse du cadre semble primordiale. Les séquences-clés (la noyade vers le début du film) semblent volontairement ratées pour ne jamais tomber dans l'excès mélodramatique et, c'est une qualité, le film en évite en effet tous les pièges. Malgré tout, difficile de ressentir plus qu'un petit plaisir instantané face à cette dramaturgie dévidée de la vie de Jonker ; si l'imagerie cruelle du père est rendue avec talent, tout comme le rapport entre l'enfant tué par les soldats et son propre enfant qu'elle tue en avortant, on a en revanche du mal à comprendre la logique psychique du personnage dans son détail, et notamment les raisons soudaines de sa folie et de ses nombreux internements, étapes passées sous silence par la grâce de l'ellipse. Certes l'intensité de jeu de Liam Cunningham et la subtilité de Carice Van Houten soutiennent avec amabilité le regard que l'on porte sur le film, bien 'fait' (le terme est vil et courant, mais il en représente assez bien la dimension), sauf que l'adhésion ne peut pas véritablement aller au-delà de notre part de naïveté et d'empathie pour cette poétesse vibrante et inspirée par la déception de la vie et de l'amour, tout simplement parce que trop souvent, les biopics n'expriment qu'une évidence esthétique, éthique, intellectuelle et émotionnelle. Ils ne vont que trop rarement derrière leur propre matière.