"Louons les actrices françaises", s'exclamait ces jours-ci Bertrand Tavernier sur son blog, avant de dresser une liste (non exhaustive) de celles-ci et de vanter leurs nombreux talents. Comme Bertrand Tavernier a raison! Et ce n'est certes pas ce film-ci qui donnera la preuve du contraire. Emmanuelle Devos incarnant Violette Leduc comme Sandrine Kiberlain revêtant l'apparence et les manières de Simone de Beauvoir sont toutes deux extraordinaires!
De Violette Leduc je ne connaissais pas grand chose, je l'avoue, avant de la découvrir telle qu'elle nous est montrée dans ce film et de me mettre à lire "La Bâtarde", l'un de ses ouvrages les plus fameux. Elle s'y raconte sans détours, usant d'un style très personnel, reconnaissable entre mille, un style fait de phrases très courtes, presque sèches et cependant jamais banales. On comprend, à la lire, ce qui a séduit Simone de Beauvoir et pourquoi cette dernière a tout mis en oeuvre pour la faire éditer et célébrer à sa juste valeur. Il a fallu du temps et de l'énergie, comme le raconte le film, il a même fallu que le Castor y aille de son argent pour venir en aide à sa cadette en littérature.
Et il a fallu, aussi et surtout, supporter tant bien que mal les assauts et les crises d'une femme amoureuse et presque constamment déçue. Car Violette Leduc fait partie de ces gens qui, même sachant qu'ils vont droit à l'échec, ne peuvent faire autrement que continuer d'avancer, quitte à finir la tête fracassée contre un mur. Et des échecs, l'auteure de "La Bâtarde" ne connaît quasiment rien d'autre. Chaque fois qu'elle tombe amoureuse d'un homme (Maurice Sachs ou Jacques Guérin) elle a affaire à un homosexuel, et quand elle s'entiche d'une femme (Simone de Beauvoir en l'occurrence) il s'agit d'une femme qui n'est nullement tentée par des amours lesbiennes! Non seulement Simone de Beauvoir rejette toute complicité amoureuse mais elle va jusqu'à affirmer que toute véritable amitié avec Violette Leduc est impossible!
Qui donc est-elle, cette Violette Leduc?, se demande-t-on tout au long du film. Martin Provost a su préserver la part de mystère d'une femme douée certes d'un indéniable talent littéraire mais ayant les comportements d'une personne psychiquement fragile voire carrément malade. Certaines scènes donnent le sentiment qu'on a affaire à quelqu'un qui est au bord de la folie. Ce qui la retient, ce qui lui permet de ne jamais totalement sombrer, c'est probablement d'avoir la capacité de se raconter: jamais peut-être on n'aura eu autant raison de dire que l'écriture agit, au moins en partie, comme un exorcisme ou comme le fil qui permet au funambule chancelant de se maintenir entre ciel et terre.
On pardonnera volontiers au réalisateur quelques afféteries de mise en scène ; le film est passionnant de bout en bout et parfaitement servi non seulement par les actrices dont on ne dira jamais assez le talent mais par des acteurs (Olivier Py, Olivier Gourmet) eux aussi excellents. Le fervent admirateur de Julien Green que je n'ai jamais cessé d'être depuis de nombreuses années pardonnera aussi volontiers à Martin Provost d'avoir mis en scène Violette Leduc qui, ne trouvant pas le moindre exemplaire d'un de ses livres dans une librairie, se saisit, de rage, d'un volume du « Journal » de l'auteur de « Moïra » pour le jeter à terre en s'écriant : « Mais il n'y en a que pour Julien Green ici ! ».
Il n'est pas facile, il faut le dire, de mettre en scène des personnalités du monde littéraire sans être soit pédant soit ennuyeux soit superficiel. Ici au contraire tout est convaincant, tout est captivant, tout est émouvant. Et l'on n'a qu'une envie au sortir de ce film : lire les œuvres de Violette Leduc (et peut-être aussi, pourquoi pas, celles de Simone de Beauvoir) ! 8,5/10