« Vous avez 16 ans ? Tout juste l’âge requis, donc. Je préfère vous prévenir, c’est souvent proche du porno », me dit la dame du guichet, avec un petit rictus pour le moins explicite. Guilty of Romance était, pour moi, l’occasion tant attendue de découvrir le cinéma de Sono Sion… Envahie par l’espoir d’une vie fantasmatique et passionnelle, Izumi épousa un célèbre auteur de romans bas de gamme pour ménagères – dont la célébrité n’a d’égal qu’une extrême mégalomanie presque risible. Son corps, elle n’a le droit d’y toucher que lors de certains élans de bonté. Loin d’elle l’idée de pouvoir s’abandonner à ce plaisir qu’on dit charnel. Par cet infini manque d’épanouissement commence à grandir en elle une envie d’inconnu. Bouleverser sa routine de femme au foyer et cesser de n’être qu’une esclave. Elle a désormais un but : séduire son époux. Tandis qu’elle se trouve à vendre des saucisses dans un supermarché, une femme lui propose de poser nue dans un studio de professionnels. Son arrivée dans le monde des idols japonaises est le début d’une dépravation des plus radicales. Au fil du long-métrage, la métamorphose psychologique se retrouve dans la performance physique même de Megumi Kagurazaka, tout simplement brillante dans ce rôle de femme déboussolée et incessamment dépassée par les évènements. Malgré sa courte filmographie constituée de trois rôles (dont un autre chez Sono Sion), son jeu d’acteur demeure très intense : elle vit son personnage de prostituée plus qu’elle ne l’interprète. Par ailleurs, Guilty of Romance porte un regard tout à fait troublant sur la prostitution. Comme si les partis pris par le réalisateur passaient parfois d’une misogynie pure et dure à un féminisme bluffant. Cependant, c’est le film tout entier qui demeure véritablement troublant. La simple présence parallèle d’une enquête sur des assassinats sordides parvient à créer le malaise. Par ailleurs, on suit avec grand intérêt les quelques scènes policières du long-métrage dans la mesure où le montage se met amplement au service de la fascination déjà puissante qu’exerce l’intrigue de base – l’initiation d’Izumi aux bas-fonds des love-hotels. De par ce scénario qui inspire de nombreux questionnements pendant et après le visionnage, Guilty of Romance s’avère aussi brillant sur le fond que sur la forme. Sur la forme parce que le travail effectué sur le long-métrage est d’une beauté visuelle éblouissante. Les lumières, les couleurs et les décors deviennent alors les fondements d’un nouvel espace temps quasi-cauchemardesque, qui serait le théâtre de bien des horreurs. En effet, il ne faut pas nier cette certaine affinité envers le cinéma de genre japonais. Pas de scènes d’épouvante mais plutôt des scènes éprouvantes. On se retrouve parfois piégé à l’intérieur d’un monde terrifiant, où l’on serait volontiers partant pour sortir la protagoniste des galères qui lui tombent dessus. Que de termes qui pourraient alors définir cet excellent film qu’est Guilty of Romance. Fascinant, éprouvant, terrifiant, éblouissant… Néanmoins, un point commun s’offre à toutes ces impressions de visionnage : elles sont toutes accentuées avec brio par une bande-originale brillamment orchestrée où chaque note est un frisson supplémentaire, où chaque note impose une ambiance plus ou moins angoissante. Une chose est sûre, Guilty of Romance n’est pas un film à mettre entre toutes les mains. Si l’on oublie les scènes à caractère érotique, qui permettent la mise en valeur des superbes corps de japonaises, il y a parfois quelques excès d’hémoglobine à l’écran. En d’autres termes, nous ne sommes jamais à l’abri de quelques boyaux sauvagement tranchés, lors des scènes d’autopsie plutôt crues… En conclusion, Guilty of Romance est une très grande réussite pleine de trouvailles en tous genres, tant sur le plan visuel que narratif. Une œuvre souvent dérangeante qui nous plonge au cœur de la prostitution dans tout ce qu’elle a de viscéral… Les codes du cinéma de genre s’en trouvent joliment exploités.