Pas étonnant que ce film porte comme titre une date, le 31 août, celle de la fin de l'été. En cela, il se réfère à deux films que cite Joachim Trier dans le dossier de presse : "Cléo de 5 à 7", qu'Agnès Varda voulait tourner un 21 mars, pour "capter dans Paris le passage merveilleux de l'hiver au printemps" - et qu'elle réalisa finalement un 21 juin ; et "Le Feu follet", où Maurice Ronet inscrit la date du 23 juillet, celle de son suicide programmé, sur le miroir de sa chambre d'hôtel.
La référence au film de Louis Malle est évidente, puisque présente au générique, le scénario étant "librement inspiré" du roman de Drieu La Rochelle. Trier raconte l'avoir vu à 33 ans, et avoir été sidéré tant a fait écho en lui le sentiment de solitude d'Alain Leroy. Pourtant, il semble revenir davantage au roman de 1931 qu'au film de 1962 : Anders est toxicomane et non alcoolique, et le conflit qui l'agite est intérieur, à la différence du héros de Louis Malle qui finit par se tirer une balle dans le coeur, poussé par les rencontres de ses anciens amis qui, chacun à sa façon, le renvoient à sa solitude.
Certes, certain plans dans leur composition font écho à la mise en scène de Louis Malle, comme celle de la discussion avec Thomas sur le banc dans le parc, filmée comme la dernière discussion d'Alain avec Milou. Mais on trouve plus ici l'influence du film d'Agnès Varda ; même s'il n'est pas, lui, tourné en temps réel, "Oslo 31 août" semble accompagner son personnage dans tous ses mouvements, et même ses immobilités, comme cette très belle scène dans le café où Anders entend les conversations des autres consommateurs, et où la façon de filmer souligne combien il n'est déjà plus dans ce monde qui l'entoure sans le concerner.
La connaissance de la fin du roman n'empêche pas l'émergence d'un certain suspense, à la recherche d'indices qui permettent de prédire la décision finale d'Anders. Les évènements de la journée, les moments d'espoir et les violents retours de boomerang jalonnent son parcours, avec toujours une liberté d'interprétation laissée au spectateur. C'est d'ailleurs ce qu'explique Joachim Trier : "Mon travail ici est d'explorer les mystères qui entourent ce geste et non de leur donner une explication. C'est ce que j'aime dans les films d'Antonioni par exemple. Il laisse le champ libre à différentes interprétations."
Même si Joachim Trier ne le cite pas dans ses références, on pense aussi à cet autre film sur la dernière journée d'un suicidé : "Last Days", de Gus Van Sant : la scène du début où Anders, hagard, erre dans la forêt de conifères, ou le très lent traveling avant de la scène finale qui évoque le traveling arrière quasi imperceptible de plus de 4 minutes de la caméra qui s'éloigne de la maison de Blake alors que celui se remet à jouer.
Déjà acteur de "Nouvelle Donne", Anders Danielsen Lie est de tous les plans, sauf l'étrange prologue à la Perec où défile une succession d'images d'Oslo en super 8 ponctuée de souvenirs de personnages dont on ne sait s'ils évoquent le passé d'Anders ou leur propre mémoire, et la fin où la caméra continue à errer dans la ville-personnage, sous la lumière particulière des régions septentrionales.
Un peu agaçant par sa construction savante parfois trop voyante, "Oslo 31 août" réussit cependant à installer une véritable tension à la poursuite de son personnage en déséquilibre constant, et le choix de ne montrer aucun des proches d'Anders (ni ses parents,, ni sa soeur, ni son amie) s'avère très judicieux, en recentrant le récit sur la coupure progressive des derniers ponts qui relient Anders à son environnement. Remarqué dans la sélection "Un certain Regard" à Cannes, ce film sec mais néanmoins émouvant n'atteint pas la puissance de celui de Louis Malle, mais n'en demeure pas moins une vision poignante d'une ville marquée par une autre date morbide, celle du 22 juillet 2011.
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