Partant du principe que je vais beaucoup au cinéma, Sleeping Beauty a eu un effet plus que détonant sur moi. Il se détache énormément de cette sorte de monotonie de films que je vois au fil des semaines de sorties, tous les films restent uniques de par leurs valeurs émotionnelles mais celui-ci est simplement à part. Tellement qu'à la fin de la séance, je me suis empressé de chercher la définition du mot "film" me demandant si celui-ci en était un. Il est intéressant de voir que ce mot n'a pas de définition précise, le sens est vague (essayez de chercher), la plus convaincante a été celle du Larousse : Faits, évènements que l'on fait se succéder dans un ordre chronologique. Et Sleeping Beauty est bien cela, fait de façon très esthétique qui plus est. Chaque scène pourrait être une photo et magie du cinéma, les personnages déambulent dans ces photos/plans fixes. Pas de mouvement de caméra à tout va, une sorte de travelling velours constant très agréable faisant partie de la signature du film. La musique est inexistante, cela aussi impressionne, une rareté au cinéma. Reste le contenu, une histoire intrigante de soirées avec filles endormies qui ne se dévoile pas qu'avec les mécanismes classiques du cinéma mais avec une mise en scène elle-même intrigante, on tient en haleine le spectateur par de l'absurde. Lucy, le personnage principal, pourrait être n'importe qui. On a l'impression qu'elle a 10 vies, de dragueuse de bar en passant par étudiante, travaillant dans un bureau ou nettoyant les tables d'un bar... Définissant habituellement la personnalité d'un personnage d'après le vécu et les actes que l'on veut bien nous montrer à l'écran, Lucy est ici impossible à cerner, difficile dans ces cas là de comprendre son raisonnement, sa façon de penser. Cette mise en place de la réalisatrice, rendant son personnage plus que trouble, est très important dans ce qui fera la beauté de ce film. Les séquences s’enchaînent donc décrivant les vies de l’héroïne, mais là où un quotidien à montrer pourrait être barbant, chaque séquence est ponctué d'un mouvement ou d'un dialogue saugrenu rendant le quotidien pas si banal, captant notre attention. Remplir un bol de céréales avec de l'alcool est absurde pour nous, mais banal pour Lucy. Pareil quand à aller à l'université en amphi pour assister à un cours sur le jeu de go ou demander quelqu'un en mariage comme on pourrait lui demander d'aller faire les courses. Cet enchaînement de scènes nous amène à une fin qui m'a fait sourire car on rentre au final dans une mise en abîme de l'intrigue spectateur qui est elle même intacte puisque sans réponse.
Lucy ne saura jamais ce qu'on lui fait subir la nuit, comme nous ne sauront jamais pourquoi Lucy fait tout cela. Elle a observé avec une caméra mais ne trouvera pas de réponses avec ce qu'elle a filmé. Nous avons observé avec une caméra (au travers de ce film) et on ne trouvera pas de réponses non plus avec ce qui a été filmé. Elle sait pourquoi elle fait tout cela, elle seule a la réponse à notre question: qu'est ce qui la pousse à laisser son corps endormi dans un lit au premier inconnu qui passe? De notre côté, on sait ce qui se passe la nuit quand elle est endormie, on a la réponse à sa question: que font les personnes de mon corps lorsque je suis endormie? Le film fait mur entre Lucy et nous. On est ainsi agacé de ne pas savoir (que l'intrigue reste une intrigue), la réponse n'étant que dans la tête de Lucy et le fait qu'on ne puisse pas lui dire ce que les hommes font de son corps la nuit venue. C'est là qu'Emilie Browning joue extrêmement bien son rôle car juste avant sa dernière nuit, dans le salon pour la prise de sa décoction avec Clara, elle fait extrêmement bien passer le sentiment du besoin presque vital, voir viscéral de savoir et donc ce mal être qu'elle a de ne pas connaître la vérité.
J'ai donc beaucoup aimé, sans jamais m'ennuyer, attendant chaque nouveau plan avec impatience. Autant je n'ai pas apprécié le Melancholia de Lars von Trier qui oscille entre cinéma classique et émotion pure (l'angoisse) que j'ai eu du mal à ressentir, sûrement par manque d'empathie, autant j'ai aimé le travail de Julia Leigh qui nous montre un cinéma photographique paré d'intrigue et d'absurde assumé entièrement. Je ne pense pas avoir compris le film, je pense m'en être fait une libre interprétation. J'ai apprécié le travail, j'ai eu le sentiment d'avoir assisté à une expérience/exposition photos animées et sonorisées dont le thème aurait été simplement insuffler l'intrigue par l'illogique.