CETTE FROIDE SENSUALITÉ : Si de « Sleeping Beauty » se dégage une forme assez claire, basée sur des décors travaillés, baroques certaines fois et un rythme résolument lent, jamais agressif ou effréné, le fond quant à lui demeure bien plus trouble, compliqué à identifier, au bord de piste qu'il refuse constamment d'explorer. On ne peut pas parler de pudeur, le but est autre, une envie d'exprimer une conviction : celle qu'il n'y a rien à tirer de ses pérégrinations sexuelles, qu'elles sont vides, resteront vides et n'engendreront que du vide ? Mais comme nous le savons ; il y a plus important que le sens et la finalité, il y a cette « autre chose » que nous ne distinguons pas, ou rarement, cette brume qui plante au-dessus des hommes. Emily Browning, magnifique Lucy dans le film, joue le rôle d'une étudiante en besoin d'argent et qui donc se prostitue, jusqu'ici, hélas, du classique. Ensuite, déjà, dans le personnage de Lucy des innovations s'imposent, cette froideur avec laquelle elle aborde le choix qu'elle fait, ce détachement, comme si le fait de monnayer son corps n'était qu'un échange des plus simple et des plus banale. Pourtant, on ne peut pas dire que la narration insinue une quelconque forme de 'dénonciation' ou d'engagement mais pose surtout le doigt sur ce drame, tout à fait moderne, de la froideur commerciale avec laquelle certaines pratiques sexuelles sont envisagées. Ce qui est de l'ordre de la passion et de l'ivresse devient très vite la recherche d'un plaisir glacial, une manière de rendre le temps fluide et moins long à supporter. « Sleeping Beauty » c'est surtout le spleen et la mélancolie de ses hommes perdus, tristes, démunis face à eux-mêmes et au monde qui ne leur offre que bien peu de raison de réjouissance alors ils en cherchent seuls, à travers le corps d'une jeune femme, pâle, voluptueux, l'innocent dans le lit des pêchés et de la luxure ; ce mélange de beauté pure et de saleté malsaine, touchant et si laid, profond et si superficiel. Mal à l'aise, je l'ai été, comme soudainement dégouté d'appartenir à «ça », ces êtres qui n'en sont plus, vulgaires loques fantomatiques sur le fleuve de la vie, une vie qui ne coule plus, qui ne le peut plus et se contente ainsi de se fixer sur un mouvement illusoire. Cette froide sensualité qui tombait de l'étoile est-elle encore à noircir de sa nuit malheureuse ?