Le tableau presque documentaire que dresse Alice Rohrwacher de la région dévastée – une vision qui n’est pas sans rappeler celle du Naples de Gomorra – et de ses habitants en voie de paupérisation n’a en effet rien de réjouissant. À côté de l’adolescente, deux autres figures se détachent de l’ensemble : celle du père Mario (sosie de Houellebecq), un prêtre ambitieux qui collecte les signatures pour un candidat député dans l’objectif de s’attirer les bonnes grâces de l’évêque et d’être ainsi muté dans une paroisse plus prestigieuse (agissements qui en disent long sur la collusion entre clergé et monde politique) et celle de Santa, sa bonne et assistante, entièrement dévouée, dévouement qui confine à l’amour, réglant d’une main de fer les répétitions des futurs et dissipés confirmés.
Au sein d’une communauté traditionnaliste, soucieuse de respecter avec scrupule les enseignements des Évangiles, Marta vit des instants cruciaux où se profile la fin de l’enfance (la survenue des premières règles comme signe évident). Souvent muette et rebelle, enfermée dans la salle de bains, protégée par une mère qui tient à distance la sœur jalouse et dirigiste, elle observe de ses yeux bleus les petites combines du prêtre qu’elle accompagne par hasard dans la recherche du crucifix pour le décor de la fête de la confirmation lors d’une excursion dans un village abandonné, niché dans la montagne et dont le seul occupant semble être un vieil abbé.
Dans des tons verts et bleus, Alice Rorhwacher joue des oppositions entre traditionalisme et modernité, entre le corps divin figuratif et celui bien réel et en transformation de Marta. Corpo celeste donne aussi l’impression d’intemporalité : on pourrait être aussi bien aujourd’hui que trente ans en arrière. Il réussit par ailleurs à distiller une succession d’ambiances disparates, de l’étrangeté à l’angoisse, du malaise à la cocasserie, sans jamais oblitérer le décor oppressant d’une ville rongée par la misère, aux multiples constructions en chantier, aux plages transformées en cour des miracles et refuges ultimes des gamins déshérités. Des zones interdites et dangereuses qui attirent comme un aimant maléfique la petite Marta.
Alice Rohwacher se révèle une réalisatrice prometteuse, portant un regard intelligent et insolite sur un groupe de personnes au travers du point de vue d’une gamine sur le point de quitter l’enfance et d’affronter le monde des adultes qu’elle pressent décevant et plein de désillusions putatives.