« Tatsumi » fait partie de ces films accordant tellement d'importance à leur personnage principal qu'ils en portent le nom. Il arrive parfois qu'il s'agisse d'une personne réelle : le film est alors soit un documentaire, soit un biopic. « Tatsumi » est un peu des deux, et plus encore. En effet, il s'agit bien d'un biopic : le film raconte, par le biais de la fiction animée, la vie et la carrière d'un homme. Il s'agit également d'un documentaire : le film est narré, et nourri, par la voix-off de l'homme en question. Mais le réalisateur singapourais Eric Khoo complète son film par une adaptation de cinq histoires écrites et dessinées par Tatsumi dans les années 1970. « Tatsumi » ne devient pas pour autant un pur film de fiction : il raconte l'homme par son oeuvre, et Yoshihiro Tatsumi est présent à chaque instant du film.
« Tatsumi » est en réalité un film à sketches reliés par un fil conducteur : le biopic/documentaire sur l'auteur. Cette partie là est en couleurs, la narration est linéaire et le film nous expose de façon assez académique l'enfance de Tatsumi, ses premiers dessins, son conflit avec son frère malade et son père absent, sa première publication, la création du « gekiga », sa reconnaissance, et enfin, sa vie actuelle, l'occasion pour le réalisateur de faire émerger un Tatsumi en chair et en os de son alter-ego animé par le biais d'un fondu enchaîné. Les cinq histoires courtes qui illustrent le film nous en apprenent finalement plus sur Tatsumi que les éléments biographiques retranscrits de façon un brin trop scolaire et littérale. Tatsumi est né en 1935, il a connu la guerre contre la Chine puis contre les Etats-Unis mais était trop jeune pour y participer. Comme tous les gens de sa génération, il a dû en revanche en subir les conséquences. C'est ainsi que son oeuvre vient commenter sa vie, et celle de son pays. Le photographe, l'ouvrier, le dessinateur, le patron et la prostituée : ces cinq personnages forment un panel de la société japonaise d'après-guerre, peu reluisante (chômage, isolement, perte des valeurs, sexualité déviante...) On suit leurs aventures respectives en focalisation interne : si certaines (« L'Enfer ») sont plus intéressantes que d'autres (« Juste un homme »), jusqu'à quel point racontent-elles aussi la propre expérience de Tatsumi ? En voix-off, il souligne d'ailleurs la ressemblance entre le mangaka d'«Occupé » et lui-même. Sans doute un simple biopic animé aurait manqué d'originalité sur un plan narratif ; une simple suite de sketches adaptés d'histoires de Tatsumi aurait également été trop classique dans la démarche. Eric Khoo a trouvé l'équilibre parfait en décidant de monter la vie de l'auteur en parallèle avec ses oeuvres, qui malgré leur courte durée balayent un nombre impressionnant de thématiques. Un dispositif osé mais tout à fait payant : le spectateur étranger à l'univers de Tatsumi en ressortira au moins bien informé, au mieux tenté de découvrir l'auteur directement par ses gekigas. « Tatsumi » est une oeuvre hybride parfaitement maîtrisée, un hommage à un grand maître parvenant à devenir une oeuvre d'art en soi.