Mon blog cinéma : http://ombreserrantes.com/
J’avoue avoir été moyennement convaincu par ce teen movie, qui a, il est vrai, un grande originalité et s éloigne à la fois des poncifs fabriqués en série dans les fictions les plus standardisées du cinéma américain mais également des tics agaçants du cinéma indépendant quand il tente d’aborder le territoire de l’adolescence, en y planquant généralement une vision reconstruite d’adulte, par idéalisation pseudo-nostalgique ou par une surenchère émotive dans un traitement caricatural des souffrances de la mue vers l’âge adulte. Nous sommes ici espace fictionnel au référent volontairement flou ( en fait il s’agit de la banlieue de Los Angeles, mais il pourrait tout aussi bien s’agir de n’importe quelle petite ville provinciale, tant le film a l’apparence d’un conte sans ancrage réaliste avec quelques pôles qui aimantent la narration: le lycée, la maison du personnage principal, et des lieux où apparaît une nature laissée à l’abandon qui relient d’ailleurs les différents espaces). Toute la fiction va se centrer autour du personnage éponyme, adolescent obèse, qui vagabonde dans la vie avec une sorte de détachement permanent, entre aboulie et indifférence. Hors-monde, ou en tout cas profondément satisfait de son propre univers( comme le montre l’obésité du personnage, dans laquelle il ne faut pas voir une espèce de métaphore de l’inadéquation entre soi et soi, ou une relecture du personnage du freak, qui essaiment pourtant l’univers des teen-movies, mais la rondeur du personnage est la marque de son autosuffisance et de l’inutilité du monde extérieur), il capte pourtant l’attention du proviseur du lycée, qui a pris pour habitude de convoquer les élèves « en marge » dans son bureau pour une sorte de psychothérapie d’une vacuité absolue, en fait une manière pour lui , manifestement, de régler ses propres névroses.
Autour de Terri, d’autres personnages singuliers vont évoluer et se téléscoper dans des séquences, parfois émouvantes, toujours authentiques, mais d’où émane souvent une sorte de lenteur neurasthénique qui a tôt fait de s’emparer, par effet-miroir, du spectateur lui-même. Dans ce monde au ralenti, nous trouvons un jeune garçon rachitique, à la sexualité frustrée, qui a la fâcheuse tendance de s’arracher les cheveux, et une jeune fille qui se trouve en butte à l’opprobre générale après avoir été forcée de se laisser ausculter son orifice intime en cours de cuisine par le crétin populaire du lycée, qui bien sûr, n’aura aucune sanction. Le monde des adultes, lui, est une espèce quasiment en voie de disparition: le directeur, dont je viens de parler, joué par John C. Reilly, personnage presque sympathique dans sa faiblesse même, et encore proche de ce monde de l’enfance dont il a la charge, sa secrétaire au bord de la tombe( et qui finira par y tomber, d’où une scène burlesque d’enterrement assez réussi), deux enseignantes sans intérêt, qui servent de pure toile de fond, et l’oncle, qui joue le rôle de substitut parental à Terri, qui manifestement connait les symptômes d’Alzheimer.
Point d’odyssée initiatique, d’apprentissage et de naissance à soi-même dans cette oeuvre qui se situe en permanence dans une sorte de flottement, presque hors-du monde, ou à sa lisière, comme en témoigne le pyjama dont est toujours affublé le personnage, matérialisation de son refus de jouer la comédie de l’existence: la musique de Mandy Hoffman accentue ce phénomène d’absence au monde ainsi que l’utilisation de la Slider qui permet des déplacement à peine perceptibles mais marqués par une grande fluidité. Seule émerge, ancrée dans une dimension réaliste, la scène où se retrouve les trois adolescents, qui évoque , d’une manière à la fois trop lourde et pas assez audacieuse, la rencontre des corps et l’apprentissage de la sexualité. Azazel Jacobs peint ici une sorte de Gulliver perdu dans un territoire dont les adultes sont de simples lilliputiens assez pitoyables et sans épaisseur .
On a donc ici une écriture cinématographique indéniable, un univers qui a au moins la mérite d’exister mais qui élude, sans doute volontairement, tous les abîmes des personnages qu’il met en scène.
Mon blog cinéma: http://ombreserrantes.com/