De l'anthropophagie et autres considérations futiles.
Il me vient donc quelques réflexions que je n'ordonnerai pas à la française, malgré mon amour profond des symétries, tant il est vrai que votre film, quoique méticuleusement pensé, construit et empruntant des formes classiques l'ordonnance, se veut l'image d'une modernité chaotique. Qu'il soit écrit:
Que vos emprunts Kubrickiens, des mélopées stridentes de Shining à votre gestion des accélérations pour illustrer les débauches amnésiques, me firent grand plaisir.
Que votre trio d'acteurs, s'il voulait être quelque variation moderne des Trois Mousquetaires, en saisirait fort bien les caractères : La franche, plébéienne et fruste bonhomie d'un Porthos, la juvénile candeur, voire la préciosité d'un Aramis y sont déjà bien tracées. Votre Max a pour lui un assemblage improbable du calcul froid d'un Athos et des velléités brusques d'un d'Artagnan,
Que ce paladin des causes perdues se fait dévorer de son vivant par un mort. Il est assez emblématique de ces enfants toujours en quête de mimétisme par rapport à leurs aînés, jamais dans la guerre, jamais dans la conquête. Les Chronos qui leur tiennent lieu de père les ingèrent alors sans coup férir. Mais comment remplacer ce qu'on ne peut tuer, le géniteur ayant pris le soin de le faire lui-même ?
Que votre instructive et drolatique variation de Pulp Fiction et de ses "tasty burgers" manque une chose : La mondialisation ne recycle pas la merde, elle la crée ex nihilo,
Que votre caméra se fait à tour de rôle abrasive ou enjôleuse, éreintée ou sereine, qu'elle se veut somme, peut être trop mais qu'elle n'est jamais relâchée,
Que vous direz à ce petit con gauchisant affublé de la coiffure du jouvenceau dans le Lagon Bleu qu'il est un Acteur,
Que vous avez su saisir l'instable nature de vos actrices: Les emportements tendres et enfantins dans cette scène à la Intervista, haut-de-forme et robe de soirée, les tourments d'un esprit dangereusement précaire, la hargne meurtrière et surtout le serpent tapi à l'intérieur, dont les yeux jaillissent par alternance dans cette superbe scène où les stroboscopes révèlent par flashs le visage de la folie. Vous en faites une Nemesis expressionniste, vous avez du goût,
Que votre Barnum, ce cortège de Freaks escortant le cercueil invisible nimbant Max, cet aréopage qui nous fait une version tordue du Déjeuner sur l'herbe dans sa dernière apparition sur un toit, donne un picaresque divertissement,
Que vos facilités de langage et de syntaxe vous seront tout de même pardonnées, même par un réactionnaire tel que moi,
Que votre dernier plan, où le chœur ignore ce qui n'est déjà plus de ce monde (mais l'a t-il jamais été ?), fait bel écrin à votre paraphe de sang qui coule à n'en point douter vers un nouveau chapitre.
Bravo.