Après avoir vu "Marius", j'ai enchaîné sur "Fanny". Beaucoup d'internautes critiquent amèrement le premier, quelques-uns le second, moins nombreux cependant. En fait, ceux qui encensent et regrettent les deux films réalisés par Pagnol lui-même en 1929 et par Marc Allégret en 1931, semblent oublier que ces deux versions, tombées dans le domaine de la mytho-filmographie française, ne sont pourtant pas exemptes de faiblesses. Que dire des deux "jeunes premiers" ? Orane Demazys, qui avait largement dépassé l'âge du rôle (elle avait 35 ans en 29 et 37 en 31) est grotesque, roulant des yeux et jouant des bras comme si elle interprétait les sorcières de Macbeth. Elle venait du cinéma muet et Pagnol n'avait sans doute pas réussi à lui faire comprendre que l'émotion devait désormais passer par le texte et qu'une relative sobriété aurait été de bon aloi. Sa diction outrée, son accent provençal sonnant faux (elle était née à Oran) en font une caricature de la jeune première amoureuse. Quant à Pierre Fresnay, Alsacien d'origine, ayant lui-même largement dépassé les 18 ans que la pièce de Pagnol prête à Marius, il était presque aussi ridicule qu'elle, accentuant les intonations prétendument marseillaises, roulant des pupilles et martelant des gestes inutiles. D'ailleurs, Raimu ne se privait pas de se moquer de l'accent de son "jeune" partenaire et le film en porte encore les traces avec une réplique ajoutée en improvisation par le génial acteur toulonnais : "Ta mère, qu'est-ce que c'est ça, ta mère ? Ah ! Ta mèèèèreeeee!" lui assène-t-il à un moment. A côté de cela, j'ai trouvé que les deux jeunes interprètes de la version Auteuil sont tout à fait convaincants : ils ne forcent pas un accent qu'ils n'ont pas originellement, ils jouent avec émotion, et Victoire est parfaite dans Fanny. La seule chose qui m'ait paru manquer dans la réalisation de Daniel Auteuil est le comique inhérent à la faconde méridionale : la partie de cartes de son "Marius" est plutôt ratée, la scène où Panisse parle de son veuvage à monsieur Brun ('Des larmes grosses comme le pouce, monsieur Brun....Je préfère me remarier tout de suite"), la scène du Pitalugue dans "Fanny" et de nombreux éléments de dialogues qui faisaient naître le rire, ont été purement et simplement supprimés. Mais Darroussin, au demeurant bon comédien, n'est pas Charpin, Russo n'est pas Dulac, Vaude n'est pas Vattier, et Auteuil ne disposait pas d'acteurs susceptibles de traduire ce comique provençal. Charpin, en particulier, quitte la partie de cartes sur une tirade en provençal que l'on ne pouvait pas demander à Darroussin de reproduire, ce qui eût été, en effet, grotesque. D'autre part, la volonté, au cours de ces dernières années, est, me semble-t-il, d'occulter le Pagnol "folkloriste provençal" pour le transformer en auteur de tragédies grecques et d'oublier ce qui faisait la drôlerie des personnages locaux. Mais l'ensemble m'a paru convaincant : les scènes entre César et son fils ("Tu sais, je t'aime bien , Papa"....."L'honneur, Marius, c'est comme les allumettes, ça ne sert qu'une fois") sont chargées d'une émotion sincère et profonde, que ne donnaient pas Raimu et Fresnay, sans doute parce que le "relativement jeune" Marius de l'époque ne croyait guère à son rôle dans cette aventure. Quant à Victoire, dans Fanny, elle est proprement excellente et Darroussin, meilleur que dans "Marius", y est aussi tout à fait remarquable. Bref, ce "remake" me paraît tout à fait bienvenu.