Surprise sucrée que constitue cette adaptation d'un pavé littéraire intouchable ! Je n'ai pas lu le roman de Tolstoï, je n'ai vu aucune des autres adaptations cinématographiques, mais au vu de la bande annonce, je flairais à plein nez la reconstitution grand public formellement brillante et sans âme qu'aurait pu donner le nouveau film de Joe Wright. Il n'en est rien, car si Anna Karénine déploie une forme somptueuse qui en met plein les mirettes, la dureté du drame serre le cœur, et les acteurs délivrent de superbes prestations, même Keira Knihtley brise ici son image de star potiche. Anna Karénine pose en immense étalage de décors fastueux, plus impressionnants les uns que les autres, au sein desquels tourbillonnent des protagonistes dans une valse effrénée, menée par l'amour, et qui leur échappe. En effet, le réalisateur n'a pas lésiné sur les gros moyen, cet attirail colossal se retrouvant de surcroît embaumé d'une photographie magnifique. Au final il s'en dégage une impression de spectaculaire en dépit de l'absence de la moindre scène d'action. Sous cet éventail de couleurs dorés une noirceur implacable grimpe lentement. Le luxe visuel du film finit par devenir écœurant, la mort pointe le bout de ses griffes à maintes reprises, les larmes débordent en masse. La Russie et ses vastes plaines glacées était le lieu parfait pour cette pièces en plusieurs actes. La Russie est sublimée, à travers Anna, Alexis Karénine, Vronski et Kostya, avec un sens émotionnel proche de celui du Docteur Jivago. Joe Wright filme l'intime en large, tout en donnant une sensation de confiné, parfois étouffant. C'est surtout le rythme qui fluctue, tantôt nous entraînant à une vitesse folle, tantôt se figeant doucement. Entre les intrigues des nobles et celles des paysans, il y a une différence de durée qui saute aux yeux, les choses se déroulent à un train d'enfer enivrant dans les palais tandis que le paysan calcule en année. Ainsi que le bonheur, court, vif et intense pour Anna ; lent, grave et profond pour Kostya. La comparaison entre ces deux modes de vie peut sembler inégale, certains auraient peut-être préféré un long crescendo passionné sur le destin d'Anna, mais c'est justement cette mise en parallèle qui déclasse ce film d'un produit usuel pour le hisser à une œuvre plus intelligente et complexe, tout en restant accessible à tous et riche en émotions.