« Colorful », coloré comme la vie.
Mais cette existence chamarrée, à travers le prisme de l’adolescence, est réfractée en camaïeu de gris et c’est le spleen ! Makoto, un jeune ado, en a fait l’expérience, préjugeant de la vie comme un aveugle des couleurs, il s’est suicidé…
Son corps inanimé devient le véhicule d’une âme pécheresse qui s’y glisse sous l’injonction divine, retournant de facto à la vie pour une épreuve probatoire de 6 mois.
Cette âme devra se fondre dans l’ancienne vie de Makoto qui était un adolescent effacé, sans lien avec le monde.
Un sujet original que Keiichi Hara traite avec maestria, sans affectation et sans reculer devant les vérités les plus dures.
L’animation sied à merveille à la poésie du titre et la splendeur des décors, leur beauté réaliste, subjugue. Mais la force de « Colorful » transcende ses indéniables qualités artistiques !
Après une première scène céleste et stupéfiante qui se déroule dans l’antichambre de l’au-delà où l’âme rencontre Pura-Pura, son guide spirituel aux dehors enfantins, nous nous infiltrons dans le quotidien de l’adolescent.
L’occasion pour le réalisateur de traiter l’intime, les déboires mais aussi les joies de la vie de Makoto et de la vie en général, car les thèmes abordés sauront, par leur universalité, entrer en résonnance avec le vécu de chacun. L’impuissance d’une famille blessée face à la mélancolie, une amitié qui survient comme un soleil, des plaisanteries futiles, des sourires, des larmes, …Emotion garantie pour cette facette « sociale » de l’histoire!
La forme fantastique du film serait toutefois oubliée sans les interventions régulières de Pura-Pura, le guide, qui diapre le récit de sa gaieté et de sa candeur. Cet être immatériel pétille et concourt à l’instillation de couleurs dans la grisaille de l’âme voyageuse, nous cheminons en effet avec cet esprit, initialement « en crise », vers une joie lumineuse et colorée. A cette élaboration de la joie participe également Saotome, grand dadais au cœur d’or, nouvel ami du héros, Hiroka, la jolie jeune fille mystérieuse, et Shôko, l’adolescente rejetée, qui se révèle étonnamment affectueuse.
Ce qu’il y a de grand dans le traitement de l’histoire, c’est la restitution parfaite du regard de l’adolescent, et l’incidence de ce regard sur le monde. Lorsque la famille est dédaignée par le héros, elle est terne, claquemurée, sans âme, sans intérêt, mais au fur et à mesure que le regard se transforme, cette famille s’épanouit, et les membres gagnent en volume, en contraste : la famille quitte ce quotidien qui enferme et annihile l’expansion de l’être et sort de l’enclave du malheur, regagne des couleurs. Par voie de conséquence, notre propre regard est interrogé : « Jusqu’à quel point sommes-nous ce que les autres inscrivent en nous ? » ou encore, me revient cette phrase de Rilke dans ses « Lettres à un jeune poète » : « Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l'accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. »
Des idées existentialistes en somme, c’est effectivement une des forces de « Colorful » que de ne pas verser dans le teenage movie classique, larmoyant et moraliste, mais d’aborder l’adolescence comme une période charnière, essentielle et existentielle. Le rythme est éthéré, propice à l'immersion, la musique, signée Kow Otani, en phase avec le récit. "Colorful", coloré comme la vie, Makoto est peintre, l'harmonie est parfaite.
Keiichi Hara est un innovateur qui propose ici un cinéma émouvant, grandiose, euphorisant et nécessaire !