La scène est dans un appartement plutôt confortable de la capitale chilienne où le temps est comme suspendu : décor surchargé de tableaux et bibelots vieillots, "vieux chats" (2, obèses et hiératiques), couple hors d'âge (Isadora et son second mari), rythme de vie ralenti. Cet équilibre fragile est perturbé par une énième panne du vieil ascenseur (laquelle condamne Isadora, par ailleurs en début d’Alzheimer, qui a de grandes difficultés à se mouvoir, à demeurer cloîtrée) combinée avec l'irruption de Rosario, sa fille quadragénaire, cocaïnomane, névrosée et marginale (elle vit avec Beatriz/"Hugo", une brave fille aux physique et manières de camionneur), en quête de subsides pour une nouvelle entreprise de fantaisie (vendre cette fois-ci des savons "de soin" rapportés du Pérou voisin). Ce film à la forme quasi-documentaire (renforcée par l'utilisation du vrai couple, de l'appartement - et même des chats - de l'actrice incarnant Isadora, la nonagénaire et très célèbre dans son pays, Belgica Castro, et une prise de vues systématique « caméra à l’épaule ») est un hallucinant psychodrame familial, mettant aux prises mère et fille, chacune persuadée que l’autre ne l’aime pas (Rosario est l’enfant de trop d’une mère déjà très âgée – le bref intermède avec son fils aîné, passant récupérer avec sa propre fille étudiante un livre d’art, le confirme). Le désamour de la mère a pourtant une explication autre, due à son propre vécu remontant à l’enfance – on l’apprend en épilogue, après de longs moments de violence (pas que verbale) et une mise à nu douloureuse avec la » fugue » d’Isadora, en pleine « absence » , comme point d’orgue (souvent à la limite du supportable pour le spectateur mué en voyeur).
A la vue de l’affiche, je ne sais pas pourquoi je m’étais imaginé aller voir un film grinçant, façon « humour noir », dans la lignée de l’espagnol « Crime farpait » : ce long métrage chilien relève d’un tout autre registre, et s’il a un intérêt certain, il faut savoir qu’il est aussi (et même souvent) extrêmement anxiogène.