Derniers Avis sur Le Tchékiste

Voilà un film bien particulier qui montre le coté kafkaïen d'un système poussé à sa limite. La réalisation et les interprétations sont très efficaces sans fard mais évitant un pathos boursouflé. L' accélération des exécutions crée un effet stroboscopique implacable qui semble nous entraîner dans un trou noir tout comme le "héros" maudit du film.

Pour ma millième critique, déjà, je souhaitais m’attaquer à un film grave, au sujet lourd de sens, et je suis tombé en explorant internet (je n’aurai surement jamais pu tomber sur ce film autrement) sur Le Tchékiste. Un petit tour sur IMDB pour voir de quoi il relève, et je me lance dans le visionnage (pas en français évidemment).
Franchement il correspond parfaitement à ce que je souhaitais pour mon millième film. Les réalisateurs de l’est ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils s’attardent sur leurs Histoire avec un grand H, et Le Tchékiste, sans atteindre la performance d’un Requiem pour un massacre par exemple, et une très belle réussite.
Coté acteur c’est toujours brillant. Le cinéma russe recèle de vrais talent à ce niveau, et ici Le Tchékiste peut vraiment s’appuyer sur des interprètes en béton, capable d’être d’un réalisme troublant, tout en offrant une profondeur de champ qui les rapprochent beaucoup du théâtre, de ce pathos ou de ce lyrisme des tragédies les plus classiques. Igor Sergeev est remarquable, mais ce sont encore plus les seconds rôles, jusqu’aux plus minimes qui retiennent l’attention et donnent à ce film une force réelle et un impact puissant. Je m’attendais à du lourd de ce coté là, et c’est réussi.
Le scénario a un petit défaut : il tend à la redondance, surtout dans sa dernière partie. Alors certes cela est peut-être voulu (dans le genre banalisation de la violence…) mais dans un film c’est toujours assez pénible d’avoir des passages qui reviennent invariablement. Pour le reste ca tient la route. L’histoire ancrée dans une réalité historique est très bien menée, sombre, dramatique, elle se déroule avec vigueur. Le Tchékiste est un film austère, violent, mais qui s’avère doté de scènes marquantes, et, un peu à l’image de Requiem pour un massacre, reste durablement en tête, mais de manière positive et enrichissante. En tout les cas une grande force se dégage du film tout du long, avec certes un portrait psychologique du personnage principal, mais surtout une perception de la violence vue sous un angle très particulier, distant et cru qui détonne.
Niveau réalisation rien à redire. Le réalisateur fait preuve d’un minimalisme formel tout à fait en adéquation avec le sujet, on retrouve cette dimension sévère et austère qui transparait par tout les pores du film, Rogojkine parvient à conserver dans ses mouvements de caméra lents, ses plans fixes, toutes la gravité de ton du métrage et la lourdeur de l’atmosphère. L’exercice est brillamment exécuter. La photographie est grisâtre, les éclairages tristes, l’ambiance est des plus pesantes, et vont avec les décors qui montrent des souterrains froids et sans âmes, des coins en extérieurs gelés et réfrigérants, des lieux miteux. C’est très déprimant, mais ca s’accommode à merveille, et on sent clairement que tout est penser comme un tout, et le résultat est vraiment à la hauteur. Il est difficile de faire plus dans ce registre, et on est parfois presque dans un film post-apocalyptique. Il n’y a aucune lueur d’espoir, aucune couleur joyeuse, même les ors du bureau du tchékistes ont un pale reflet morbide. Alors Le Tchékiste a la réputation d’être un film violent. C’est vrai qu’elle est omniprésente par les multiples exécutions montrées dans leur simplicité et leur crudité, par les corps nus qui s’amoncèlent tout au long du film. Maintenant elle est finalement assez peu graphique (pas de chair déchiquetée ou tortures interminables), jouant beaucoup pour déranger sur cette espèce de banalisation que j’expliquais plus haut, et sur le détachement tant des bourreaux que de la plupart des victimes d’ailleurs par rapport à leur sort. En tout les cas Le Tchékiste est un film d’adultes, d’ados aussi pourquoi pas, ca ne leur serait que profitable je pense, mais n’est absolument pas tout public. A noter une bande son dépouillée (décidément tout est dépouillé dans ce film !) mais qui s’avère dans cette sobriété et cette simplicité tout à fait à sa place, entrecoupé de temps en temps par quelques chants soviétiques qui joueront d’ailleurs un rôle clé.
Au final Le Tchékiste est un film très grave, très sombre, très simple, typiquement russe je dirai. Ils se débrouillent vraiment bien les russes pour livrer des films sévères dans tout les sens du terme, et celui-ci en fait pleinement partie. Possédant d’indéniables qualités formelles, porté par des acteurs brillants et par son histoire forcément marquante, il fait clairement partie de ces films trop méconnus de nos amis de l’est, qui mériteraient une petite redécouverte. Allez, je pousse jusqu’à 5, même si peut-être, parce qu’il tend à se répéter par moment, un 4.5 serait plus justifié.