Très tendance, le "slow food" fait désormais partie intégrante de la gastronomie. Pourquoi le "slow cinema" n'aurait-il pas, lui aussi, droit de citer, susceptible de plaire à un certain nombre d'amateurs du 7e art, qui en ont assez, d'avaler des blockburgers à la chaîne (entre autres) ? Nuri Bilge Ceylan est un maître queux tout trouvé comme le montre Il était une fois en Anatolie, une oeuvre de 2h37, sans une once de gras (avis subjectif, comme de bien entendu). Pour commencer, si y a bien une intrigue policière, elle importe assez peu, imaginez Les Experts Anatolie, sans un changement d'axe de caméra toutes les trois secondes mais, au contraire, avec des plans fixes qui durent un peu moins longtemps que l'éternité. Apparemment, beaucoup de spectateurs ne supportent pas les 90 premières minutes du film, totalement nocturnes, avec ce cortège de voitures qui balayent la route de leurs phares et quelques haltes qui permettent de savoir ce qu'un procureur, un policier, un médecin, un suspect et quelques autres comparses peuvent bien fabriquer au plus profond de la campagne anatolienne. Pourtant, cette première partie est essentielle, elle fait émerger peu à peu plusieurs caractères dont on peut essayer de deviner la vie et les états d'âme. Et puis ces dialogues : il est question de prostate, de yaourt au buffle et, plus tard, de la nécessité de construire un mur pour protéger le cimetière d'un petit village. L'humour est subtil, déconcertant (le procureur a de faux airs de Clark Gable) et la poésie s'invite au passage, comme par accident, quand une pomme roule jusque dans un ruisseau. C'est un monde d'hommes et de vieux dans ces campagnes désertées par les jeunes générations. Peu de femmes, mais quand elles apparaissent, elles sont filmées comme des madones. Après un peu plus de deux heures, on connait mieux le procureur et le médecin, sur lesquels le film se resserre. Comme si Il était une fois en Anatolie était un construit sur un immense zoom de 157 minutes qui finit par ne garder que deux personnages à l'écran. La leçon d'anatomie finale est perturbante. On y entend la scie qui découpe, les organes que l'on enlève d'un corps. Comme l'Anatolie qui se vide peu à peu de ses habitants, laissant le paysage plus solitaire que jamais. Ce n'est pas un film beau à proprement parler, il a souvent des allures de documentaire, mais sa partie fictionnelle, volontairement réduite, en dit tellement sur les hommes, leurs existences, leurs blessures. Et quand vient la fin, c'est un très grand vide qui vous emplit.