LA NUIT : C'est elle qui perd les hommes ( pas bien compris pourquoi une investigation policière démarre dans la pénombre mais passons, la cohérence n'étant pas toujours signe d'art ), elle les rend à eux-même, les dévêt, les repousse contre leurs démons, les répudie, les accepte également, les exalte lorsqu'il s'agit de faire face à la belle figure féminine, exaltante, extatique, déesse de l'obscurité dans un monde figé, dur, et froid. Barbares, primitifs, ennuyants, tristes, profonds, grands, petits, vagues, débiles, aberrants, touchants, dans la nuit qui sont-ils ces hommes, que font-ils ici sur cette vaste terre, atroce étendue d'horreur, que font-ils ainsi à errer malgré eux, à ne jamais se comprendre, à ne jamais se trouver dans l'univers, leur voix qui se perdent dans le temps et l'espace, leurs cris vains, terribles, blafards à travers la brise et le noir, qui sont-ils ? La réponse n'est jamais donnée, ils sont, et c'est bien suffisant, peut-être ne recherchent-ils rien, peut-être ne sont-ils pas grand chose mais ils sont là, tous coupable d'exister, bringuebalant d'un terrain à l'autre, à la recherche d'un cadavre, un mort, leur futur sans doute, inévitable, qu'ils recherchent sans le savoir. Et puis parfois il y a ces quelques joies, furtives, quelques soleils dans la morne existence, si éphémères, si rapides que les saisir n'y changerait rien, ils disparaissent, aussi vite qu'ils sont venus et retournent dans la nuit, accablante, immense monstre difforme phagocytaire. Alors ils s'arrêtent, se désaltèrent à la source de leur tristesse, tentent de prendre le bon côté des choses, de voir autre chose même dans la torpeur la plus sourde, le plus long silence. « Il était une fois en Anatolie » c'est l'intrusion de la nuit dans elle-même, de l'homme dans l'homme et dans son abime. Hélas, hélas la musique, le bruit apparaît, hélas...
LE JOUR : Et le voici, libérateur d'une certaine façon, salutaire, bousculant l'action, l'innervant, un peu plus vif, plus rapide, moins profond, plus fade. Les hommes se rangent, redeviennent leur propre matérialité, atteignent la source mais ne s'y abreuvent plus, il n'y a plus rien dans ce jour qu'une réalité à détruire et une nuit à atteindre. Car oui, il a tout tué, cette pâle lumière obscure, elle a tout tué, elle a atteint au cœur la vérité et l'y a substitué de sa beauté dévastatrice. Le soleil réel est ennuyant, il se centre, il oublie, il appelle au sommeil. Que sont devenus ces êtres absurdes ? Follement, ils ont survécu à la nocturne aspiration floutée et ici, à présent, s'écorchent et s'enfuient dans l'éclairage étrange de cette aube malsaine. Il n'y a plus rien à faire, plus rien à chercher, le jour est un tueur avide, sans pitié, érigeant les hommes face à leur pauvre condition. Ce n'est plus important, l'art s'est dissipé, la photo, l'esthétisme, la poésie, le souffle et la chair, les voix et les vides, la douleur et l'absurde, la soif et la faim. Le jour, ce n'est qu'une résolution, un moyen d'appuyer sur le visible, sur l'ennui, hélas, hélas.