Vraiment pas terrible. Nuri Bilge Ceylan (on prononce Djeïlân) nous embarque dans un road-movie très lent, nocturne puis dans un froid huit-clos qui tourne à l'atroce (scène d'autopsie pratiquée par des médecins impassibles). Là où le bât blesse, c'est qu'on n'arrive pas à cerner son propos, mis à part le fait que les protagonistes cherchent à cacher leur vérité intime. On tourne en rond dans des discussions souvent ennuyeuses. Il était une fois, plutôt qu'un beau conte, nous livre donc un exercice de style esthétique glacé et un récit à rallonge très dilué. NB Ceylan a voulu transmettre l'esprit des longs romans turcs qu'il a pu lire, sans parvenir à insuffler suffisamment de densité et d'intérêt à l'histoire. Ça se passe dans un milieu rural paumé où les agitations des hommes, ici à travers une enquête policière laborieuse, recouvrent pas mal de non-dits, de hontes intimes étouffées. Les 2h30 s'encaissent difficilement, jusqu'à l'autopsie, atroce, où l'on ne voit presque rien mais où l'on entend tout: la scie, le crâne et le corps qu'on ouvre, dans une atmosphère clinique insensible -des minutes répugnantes, forcément déplaisantes pour certains. Bien que Ceylan soit un cinéaste exigeant, la louange cannoise semble glisser vers l'intello-prétentieux et l'attraction vers le morbide. Certes, on remarquera le bel esthétisme des panoramas de rase campagne (au crépuscule), la lumière des phares (jaune) au sol, la netteté du paysage désert, la prégnance des éléments concrets, le mystère de la nuit et la capture miraculeuse de quelques miroitements (la pomme que l'obèse fait tomber et qui dérive; l'éclairage de la boucle d'oreille de la jeune fille en clair-obscur). Au-delà, on trouve aussi la langueur, laideur et interrogation. Sur le sens, on hésite. Le cinéaste travaille les contrastes sans rien livrer d'évident. C'est une sorte de jeu de piste, à saisir au-delà des apparences. En cela, le film, complexe, nécessite un regard mature. On sillonne les routes à la recherche d'un cadavre perdu quelque part près d'un fontaine... Chaque personnage fait le choix de l'évitement: le gras et nerveux commissaire Naci préfère allonger des heures sup' de nuit plutôt que subir sa femme; le procureur Nusret parle d'une femme splendide morte mystérieusement après avoir enfanté, alors qu'il s'agit de sa propre histoire (un drame lié à l'infidélité); le docteur, sans enfant, mentionne qu'il a divorcé sans raison réelle, alors qu'il cache un problème de stérilité. Le mensonge prend le dessus: un certain honneur, à la fois masculin et féminin, tente de sauver la face. En cohérence, on entrevoit le poids du patriarcat, et donc la triste condition des femmes en milieu rural, comme l'illustre cette jolie jeune fille, recluse chez ses vieux, serveuse et ménagère soumise et mutique, coincée dans la grange-auberge d'un village obsédé par la gestion de ses morts. Quant à la femme du mort, vis-à-vis de son fils elle préfère le silence à la douloureuse vérité (un adultère dramatique). L'«histoire» des uns et des autres nous parvient imbriquée, en creux, sous un voile trouble. Malheureusement, le tout s'étire interminablement, poussant à jeter un coup d'œil à l'heure qu'il est. L'intérêt reste limité, l'ennui pointe, soufflé par quelques éclairs énigmatiques. On finit par une scène pénible à écœurante. C'est dommage car les acteurs, totalement novices, manifestent du talent; le docteur Cemal (Muhammed Uzuner) a même un air de déjà-vu. Tout ce petit monde, flicaille à la douzaine, s'emmerde mais tente de surmonter ses névroses à travers des tâches monotones. Le résultat des agitations policières se révèle vain puisque la loi du non-dit s'impose. Le spectateur doit fait l'effort de lever le voile: partout résonne la souffrance, des affaires de rupture. Le docteur le connaît, ce jeu de faux-semblants: il n'est pas dupe. Mais l'intensité n'est pas au rendez-vous; derrière la simplicité du concret, un certain poids nous oppresse. Rien ne remue tellement, dans une absence totale de musique. Le rythme s'enlise dans une certaine redondance. Malgré quelques soupçons d'humour, la tristesse l'emporte. «Art is an endless voyage» dit le cinéaste: or il est des voyages plus réjouissants! D'une ambiance macabre tirant sur l'expression mélancolique, BIR ZAMANLAR ANADOLU'DA rate sa portée signifiante, tout en livrant un portrait local cru et acerbe. «Il était une fois» propose un conte intemporel à la fois trivial et énigmatique, âpre et poétique, sauf qu'on peine à en saisir l'objectif.