Nuri Bilge Ceylan: de lui, j'avais vu un épouvantable nanar, Les Climats, film bouffi de prétention, Antonioni chez les loukoums (sans le talent du grand Michelangelo...). Mais, vu ce que je sais maintenant du réalisateur, peut être ce film n'était qu'une oeuvre artificielle destinée à intéresser le public des festivals....
Passer des Climats à Il était une fois en Anatolie, c'est comme passer d'un restaurant international toc et chic à une auberge de village, savoureuse et chaleureuse. Ce long film à un charme, une atmosphère, un climat (celui qui manquait tant aux susdits Climats justement...) qui fait qu'on ne le voit pas passer. Il y a d'abord une heure de voyage nocturne sur les petites routes de bitume ou de terre du plateau anatolien, qui tournicotent, montent et descendent dans un paysage désertique d'une tristesse absolue, avec un meurtrier qui est censé retrouver l'endroit où il a enterré sa victime (vu la façon dont tout se ressemble, c'est pas une sinécure!), et tout l'appareil de la justice, le commissaire (Ylmaz Erdogan) qui voudrait bien rentrer au plus vite parce que son petit garçon a une maladie génétique et qu'il doit rapporter les médicaments, le procureur (Taner Birsel) qui a des problèmes de prostate (mais surtout, un passé pesant et tenace qu'on va découvrir petit à petit), le médecin divorcé (Muhammet Uzuner), qui lui aussi semble bien mal, et puis les chauffeurs, les fossoyeurs, l'employé qui sert de scribe au procureur, un second coupable mais à qui on ne demande rien, et des gendarmes, petite troupe en errance au milieu de nulle part, recherchant un arbre en boule et une fontaine, mais ce ne sont jamais les bons.... En plus, c'est la tempête, l'orage, et Bilge Ceylan filme comme personne ces arbres dans la nuit, pris dans le vent. Le temps passe, les esprits s'échauffent, le commissaire devient violent avec le meurtrier, l'un des chauffeurs aussi a l'air plein de rancunes, et petit à petit le procureur livre, au médecin, d'anonymes bribes de son histoire.
On s'arrête chez le maire d'un village pour se restaurer et se reposer, celui ci déballe d'interminables doléances, l'electricité s'éteint -quand la jeune fille de la famille apporte le thé, éclairée par en dessous pas sa lampe, éclairage de La Tour, d'une beauté surnaturelle, c'est comme si un ange traversait cette sordide randonnée... Images magiques.
Enfin, le cadavre est déterré. Mais personne n'a pensé à emporter un sac à maccabées... le film vire au burlesque anglais, manque plus qu'Alec Guiness.... et on le fait rentrer tant bien que mal dans le coffre d'une des voitures*. Puis c'est l'autopsie, avec l'officiant qui se plaint de son matériel de merde... La veuve et son petit garçon, qui peut être n'est pas le fils de la victime. La foule qui hurle, qui est prête à le lyncher. En fait, le crime gardera tout son mystère.
J'ai adoré ce film différent, bizarre, avec ses moments de poésie, ses moments absurdes, cette façon ample de filmer les paysages et resserrée de filmer les visages (tous les acteurs sont épatants), et la vérité de ces hommes que le hasard a rassemble et dont le corps parle, à la faveur de la nuit et de la fatigue. Comme quelquefois les films longs et lents, ce n'est pas ennuyeux: c'est juste fascinant.
*les mecs, si vous voulez rentrer dans l'Europe, pour tripoter un cadavre, mettez des gants en caoutchouc!