Revenant d'un exil volontaire dans un pays où le cinéma n'existe pas, c'est in extremis, avant qu'il ne disparaisse tout à fait, que j'ai pu rattraper au vol MON film de l'été. Le vrai polar bien glauque, le noir vénéneux, c'est en Corée qu'il a pris, à présent, ses quartiers, d'accord, et son maître est, évidemment, Park Chan-wook. Mais à Hong Kong il y a un petit maître qui s'appelle Johnie To, dont le dernier opus, La vie sans principe, est aussi le meilleur, filmé avec un incroyable sens du cadrage et de la non couleur. De l'anthracite au blanc plâtreux, To joue sur les nuances de gris, et son image est purement magnifique.
On pourrait appeler ça bêtement un film choral, je dirais plutôt un film puzzle, où des petites pièces que le cinéaste nous délivre sans chronologie vont petit à petit s'emboiter. Les deux personnages principaux ne se rencontreront jamais. Térésa (la ravissante Denise Ho) est courtière dans une banque. Hélas, manque de chance.... ou de vocation, c'est une très mauvaise courtière. Au début du film, on la voit, dans une séquence interminable et en même temps très drôle, tenter de fourguer des actions à risque à divers braves blaireaux, lesquels ne souhaitent que gagner plus d'argent sans chercher à comprendre comment. Térésa va se faire lourder à la fin de la journée par sa pimpante directrice -c'est sûr. La situation est d'autant plus délicate qu'un énorme krach boursier s'annonce....
L'autre héros, c'est Panthère (Lau Ching-Wan), l'employé inconditionnellement fidèle et inconditionnellement honnête du patron d'une triade. Pour lui, il s'agit de se procurer la caution d'un camarade, arrêté au cours d'un banquet mafieux, auquel il est lié par une amitié tout aussi inconditionnelle..... La situation est d'autant plus délicate qu'un prêteur à gage véreux (irrésistible Hoi-Pang Lo!) vient de se faire trucider...
Et puis, en contrepoint, il y a aussi la petite famille intégre, le commissaire de police (Richie Ren) qui ne sait s'il peut acheter l'appartement hyper cher dont rêve sa femme -une vue sur la mer, une vue sur la montagne (à vrai dire surtout la vue sur des buildings) et adopter cette petite soeur inconnue qui lui tombe sur les bras à la mort de son vieux père. On le voit peu: il est juste là pour nous rappeler qu'à côté des financiers et des gangsters, il y a des gens normaux, et qu'à côté des crimes crapuleux, il y a des querelles entre petits vieux des quartiers populaires qui tournent mal...
Le film est virtuose, le film est plein d'humour, le film file à toute vitesse, rebondissant d'un monde à l'autre. Le lien est établi, grâce au personnage d'un ancien mafieux qui s'est lancé dans la Bourse sur Internet: on passe sans difficulté du vol crapuleux à l'escroquerie légale.
Moralité -il y a une moralité, sardonique: la Bourse et les triades, c'est kif kif.