Une belle mise en scène de Bertrand Bonello qui démontre beaucoup de style, de poésie et une personnalité originale .Une image soignée, une bande son très astucieuse, moderne, actuelle mais qui colle bien à l’ambiance supposée d’une maison close de l’époque. Le récit est fait comme une peinture par touches successives, de style expressionniste. La vie, le destin de ce groupe de prostituées est décrite au travers des rencontres avec leurs clients et par la description clinique de leur vie quotidienne dans la maison. Le ton est juste, il n’y a ni critique morale, ni éloge, ni allégorie, ni jugement, ni complaisance. Chaque personnage de prostituée est très intéressant : celle qui sombre dans l’addiction à l’opium, la dernière arrivée, encore fraîche et jeune à 16 ans, qui veut s’en sortir, et qui ne restera pas à la maison , celle qui va attraper la syphilis, et bien sûr le femme sourire, qui a subit une agression au couteau et qui est marquée à vie sur son visage, mais qui intéresse encore certains clients pervers, amateurs de Freaks. Chacun de ces personnages permet au final de dresser un tableau complet de ce que devait être un bordel du début du siècle (et le petit clin d ‘œil final de l’épilogue du film, à l’époque contemporaine, montre que probablement rien n’a changé pour ces filles). L’épisode de la visite médicale collective est très réaliste d’une froideur pragmatique .Il y a de très belles scènes : bien sûr la soirée libertine à l’extérieur de la maison, avec la femme-sourire, et une femme de petite taille, où l’on retrouve une lubricité troublante, on ne sait dire si c’est érotique, malsain, pervers, sadique, ou émoustillant. Mais en tout cas pour la beauté et le brio de la mise en scène , Bonello n’a rien à envier au référent de Kubrick de « Eyes wide shut ». Magnifiquement réalisé. Et c’est une force de Bonello, ne pas se positionner, d’être suffisamment distancié, pour ne pas s’engager. Chaque spectateur est libre d’être, soit : offusqué, indiffèrent, excité, outré selon son tempérament. De même pour le client (très bien joué par Louis Do Lencquesaig, toujours impeccable ) qui aime regardé le sexe des femmes en gros plan : est-ce sensuel ? érotique comme le « Début du monde » de Courbet , ou détraqué et pervers ? Difficile de dire .Il y a une ambigüité constante dans le film qui est très stimulante.… Une très belle interprétation de Noémie Lovvsky en mère maquerelle, qui aime ses filles, les aide, mais qui sait aussi les endetter, de manière récurrente, pour les retenir au bordel. Un jeu tout en finesse et en subtilité. Toutes les filles sont bien, elles jouent justes et démontrent la très bonne qualité de directeur d’acteur de Bonello.