Ce film, c'est l'histoire d'Yvette Evrard (Hélène Vincent), femme soixantenaire qui se sait condamnée par un cancer et préfère choisir de mourir plutôt que d'assister impuissante à sa propre dégradation. Mais ce n'est pas « juste » l'histoire d'une femme qui décide de se faire euthanasier. C'est aussi l'histoire de son fils (Vincent Lindon), Alain, qui sort de prison et doit se ré-insérer dans la société tout en partageant la maison de sa mère. Elle se prépare à partir, lui doit apprendre à revenir. Entre eux, la communication n'est pas facile et autant dire que leur relation n'est pas des plus saines. Mais ils ont un point commun immense : ils se sentent isolés.
Car en effet, presque plus que le processus de mort médicalisée dont il est question, ce qui m'a semblé être le ciment de ce film extrêmement humain, c'est l'incommunicabilité. Lindon et Vincent sont bouleversants de sincérité lorsqu'ils interprètent ces scènes très dures où les silences sont lourds, où chacun aimerait dire ce qui lui pèse mais où personne ne parle. Il faut du talent pour retransmettre à l'écran, et avec justesse, cet isolement. Car on arrive à sentir que derrière tous ces non-dits, ces rancœurs sur lesquelles ils ne savent pas mettre des mots, il y a aussi beaucoup d'amour. Les énormes coups de gueule d'Alain, où il va jusqu'à dire à sa mère qu'elle n'a qu'à crever avec son cancer, on se les prend de plein fouet. On arrive à sentir la culpabilité du personnage au moment-même où ces mots terribles sortent de sa bouche, on ressent le tiraillement qui le ronge. Et je pense que tout le monde n'est pas capable d'une telle performance. La colère d'Alain semble jaillir des tripes de Lindon. Cette rage, où les mots qui sortent ne sont pas ceux qu'on aimerait prononcer, si jamais il ne l'a pas réellement vécue, il la joue avec une spontanéité impressionnante.
Les rapports entre Alain et Clémence (Emmanuelle Seigner), ancienne conquête retrouvée, suivent exactement la même logique. En fait, le personnage d'Alain illustre bien le cercle vicieux du silence : « Pourquoi commencer à parler maintenant si je me suis tu toute ma vie ? » « À quoi bon ? » Plus que de juste nous montrer un homme qui n'arrive pas à parler, Brizé nous fait ressentir ce qui se passe dans sa tête.
Et chez Yvette, il y a également cette pudeur, cette incapacité à parler de soi. Les scènes où Hélène Vincent se contorsionne dans son lit, comme rongée par tout ce dont elle ne parle jamais, sont profondément déstabilisantes.
Toute cette problématique de l'incommunicabilité est extrêmement cohérente avec les autres aspects du film de Brizé : le thème de la maladie et le naturalisme de la mise en scène.
La maladie, parlons-en. Une fois encore, Brizé tape là où ça fait mal. Yvette « n'a pas réagi assez vite », « a laissé la maladie s'installer ». C'est tragique, mais la dureté avec laquelle Alain envoie tout ça au visage de sa mère nous confronte frontalement à ce problème. Il y a toutes ces choses qu'on ne voit pas, ou plutôt qu'on préfère ne pas voir, mais qui nous tuent à petit feu. Mais cette façon d'aborder le cancer n'est jamais du jugement. À traiter la maladie et les malades avec autant d'humanité, le film nous sensibilise énormément. Encore une fois, on réalise que parfois, plutôt que des grands discours ou des campagnes de publicité, le cinéma peut nous faire prendre conscience de beaucoup de choses.
Et ça, le fait de fermer les yeux sur ses douleurs, de se dire que ce n'est pas grave, bref, l'oubli de soi, c'est aussi extrêmement bien interprété par Hélène Vincent. Brizé nous offre du même coup une réflexion sur la vieillesse. Pour certaines générations, il est sûrement encore plus difficile de prendre le temps de penser à soi ou pire, d'en parler. Il y a là toute la pudeur de la vieillesse. Quand l'homme de l'association pour l'euthanasie demande à Yvette si elle a eu une belle vie, et qu'elle répond « bouah, je ne sais pas, c'est ma vie », beaucoup risquent d'y retrouver des proches.
Enfin, le film est véritablement naturaliste. Que ce soit dans les décors, dans les respirations baveuses du chien familial, dans l'intonation des acteurs, ou dans le déroulement de l'histoire, on vit ces deux heures comme une véritable immersion. Et cette sincérité du propos est touchante.
Puis, quand arrive la fin, on est rattrapé par l'émotion. On a suivi la démarche d'Yvette depuis le début, et on se retrouve là, avec elle, son fils, et la femme de l'association, dans cette petite chambre suisse. On le voit, ce verre qui va plonger Yvette dans un sommeil sans retour. Et cette mort qui n'est pas suggérée mais montrée, vécue, nous ramène à notre humanité. On est alors confronté au côté dérisoire de la vie. Ce qui se passe à ce moment-là entre Yvette et son fils, je n'en parle pas, il faut garder un peu de suspense. Mais c'est poignant, et je pense qu'il est difficile de ressortir de la salle sans se poser des questions existentielles.