La facture du film n’est pas parfaite : on souhaiterait, par exemple, qu’il mette mieux en lumière le parcours détaillé d’une recette, depuis les premiers tâtonnements sur les ingrédients jusqu’à l’œuvre finale qui atterrit dans l’assiette du client. Là, on a un film assez fourre-tout, qui présente des tranches de vie un peu désordonnées, mais ce côté bordélique permet sans doute de bien sentir l’ambiance qui règne à El Bulli. Surtout, le film constitue un document passionnant sur ce qui est son thème central : la créativité (et pas la cuisine, moléculaire ou non, comme on pourrait s’y attendre). Il donne à voir ce que c’est qu’une "machine à idées nouvelles". El Bulli, c’est Apple ; Ferran Adria, c’est le Steve Jobs de la cuisine, et nous voyons comment ce genre d’organisation fonctionne. Un environnement très exigeant, où tout le monde se challenge mutuellement, en permanence. Un grand professionnalisme (la créativité, contrairement à un cliché répandu, n’est pas une affaire de glandeurs « inspirés »), visible par exemple dans la façon dont chaque ingrédient est soumis, dans le laboratoire où Adria passe six mois de l’année, à une immense variété de modes de préparation, dont les résultats sont soigneusement comparés, archivés et utilisés par la suite. Une quête permanente de l’innovation, du petit plus qui va changer la perception d’un plat – quête qui ne s’arrête jamais, la conception de certains mets n’étant finalisée que juste avant d’être servis, certains résultant même d’une "erreur" qui se révèle finalement génératrice d’idées nouvelles. On sort du film, pas forcément affamé, mais immensément stimulé, tant il semble que le menu présenté en guise de générique de fin s’apparente plus à un catalogue d’œuvres d’art que de simples plats faits pour être mangés.