Ce Faust au niveau des décors, et des costumes, bref tout ce qui n'est pas acteurs et mise en scène, est un des plus beaux films que j'ai vu, l'image est sublime même si elle appartient techniquement plus à la réalisation qu'à l'ensemble des aspects matériels qu'on nous sert. Quant à l'histoire, elle est cohérente, solide, si tant est qu'on soit d'accord avec la légende de Faust, l'homme qui vend son âme au diable. Après tout ça vaut celle de Batman, non? Les acteurs sont tous intenses, et le choix difficile du diable, ou plutôt de l'usurier tel qu'il est nommé, a trouvé corps (même maquillé) et esprit en la personne d'Anton Adasinskiy livrant une performance mémorable campant un monsieur larve, médiocre plaintif, fixé en névropathe sur sa survie dépendant du malheur des autres, semant ses subterfuges pour meubler de sens sa disgrâce éternelle. C'est quand même du Goethe plutôt respecté, alors si oui la mise en scène cherche le malaise et notre trouble, et y parvient, sans nous dégoûter mais nous fascinant, ce n'est pas que tout est du n'importe quoi pseudo intello, non il faut s'aventurer sur son chemin. "L'homme veut voler mais il a peur du vertige". Une fois embarqué dans le rythme du découpage très esthétisant sans jamais pourtant s'appuyer ostensiblement sur les nombreuses qualités qu'il dévoile, on déchiffre sans difficulté les développements de cette descente aux enfers. Dans un monde/ville où la guerre rôde au lointain et la faim au plus près, pendant que le cours normal des choses n'arrive plus à rendre supportable cette déliquescence, notre Faust voudrait la paix de l'âme, une spiritualité qui le comble, satisfasse son intellect et équilibre son coeur, mais le mal a sous son emprise trop de voisins, qui s'agitent et passent en chevauchant leurs instincts primaires et en respectant l'ordre établi des inégalités sociales. Il est bien intentionné, plus délicat et lucide que la plupart des gens. Seul l'amour le sauverait, comme il veut sauver une oie blanche aux cheveux blonds, prêt à recommencer sa vie, en la commençant avec elle. Sa vulnérabilité ne s'effacera pas sous l'avalanche de ce bonheur qui ne viendra jamais. Vous connaissez l'histoire. C'est long c'est lent, c'est un bout de papier où il vend son âme, qu'on peut déchirer, brûler, refuser d'honorer, parjurer; et il en tombera plus vite encore, sur la même trajectoire que là où il aurait atterri s'il ne l'avait pas vendue, s'il avait mis tout le temps d'une vie longue à rejoindre ce tombeau, ici sa vie en enfer. Sokurov a déclaré vouloir faire des films qui donnent force et espoir. Quelle ambition! Parfois il s'est loupé en devenant bien ennuyant. Ici il a réussi, égalant son maître Tarkovski peut-il s'autoriser à penser, le surpassant pouvons-nous en juger. Oui ça va rester, c'est incontestable, magique travail, oui c'est un réel chef-d'oeuvre. Oui ce n'est pas pour tout le monde. Oui ceux qui n'aiment pas peuvent être des personnes très biens, meilleures que d'autres qui ont aimé.