Une variation -que dis je! un délire halluciné autour de Faust. Je l'ai vu à la première séance, le jour de sa sortie, sans avoir la moindre idée de ce que c'était. Juste en posant l'équation: Alexandr Sokurov Faust: ça, c'est pour moi. Go! Bien vu! Je suis sortie en délirant de bonheur avec l'impression d'avoir été, pour une fois..... au cinéma.
De Faust, on retrouve tous les personnages, mais un peu dans le désordre: Wagner, Siebel, Valentin..... et Marguerite bien sûr, l'exquise Isolda Dychauk qu'on croirait descendue d'un tableau de Vermeer, visage rond, petite bouche gonflée et charnue, l'image même de l'innocence. Et la seule jolie chose que l'on puisse voir pendant ces deux heures quinze de projection..... car si le film commence par un ciel moutonneux à la Magritte, s'attarde sur une montagne au dessus d'une petite ville comme peinte par Breughel, la caméra zoome à toute vitesse vers le laboratoire sordide où Faust et son assistant Wagner se livrent à une autopsie des plus répugnante sur un cadavre déjà verdâtre.... Enchaîne sur l'hôpital où exerce le professeur Faust, le père du héros (avec de bien étranges méthodes). Une horreur! En effet, notre docteur Faust n'est pas très vieux. L'excellent Johannes Zeiler, (physiquement entre Gérard Depardieu et Ralph Fiennes), est un homme dans la force de l'âge. Mais seul, et désespéré. Désespéré de ne pas trouver une raison de croire à la vie. L'étrange Wagner (Georg Friedrich), lui, s'imagine trouver l'âme à travers ces peu ragoûtants charcutages au bistouri.
La ville est sale, tortueuse, ses habitants grotesques. Personne ne filme comme ça maintenant! Sokurov va complètement à l'encontre du "bon goût" actuel, de l'élégance, de la modération. Ici, les mimiques sont exacerbées, comme au temps du muet. On se croirait revenus au temps d'Eisenstein, Dreyer, Murnau..... Sokurov ose tout.
Les rats, énormes, grouillent partout. Mais la présence animale est omniprésente: corbeaux, chouettes....
Avez vous déjà vu le Diable (Anton Adasinskiy) à poil? Ici, il se déshabille pour se plonger dans le cuveau des lavandières. Son corps est une sorte de sac boursouflé, déformé, il n'a "rien devant", comme le constatent avec horreur les jeunes femmes, mais porte à l'arrière une sorte de queue, comme des organes sexuels rabougris. Il a pourtant une amante, notre chère Hannah Schygulla, qu'on a vêtue d'invraisemblables toilettes....
L'impression de fantastique est renforcée par l'emploi presque constant d'une déformation subtile, ou plus accentuée, de l'image. Les couleurs sont fausses: des gris glauques de la ville et de ses bas fonds, on passe à un vert passé, élimé, pisseux pour les scènes de plein air, celle en particulier où, dans un espèce de ravin encaissé, après l'enterrement de Valentin qui est le pivot du film, Faust tente de séduire Marguerite.
Mais le décor le plus extravagant est le final, pour cette scène où Faust reprend sa liberté, c'est un interminable champ de lapiaz qu'il gravit, suivi de son mauvais génie, les arêtes se succédant aux arêtes, à perte de vue, c'est vraiment un décor d'enfer. On ne peut imaginer l'enfer autrement que comme cette désolation.
A qui s'adresse ce film? Les amoureux classiques de Goethe tourneront de l'oeil dans les cinq premières minutes. Mais je crains que les jeunes gothiques n'y trouvent pas non plus leur compte, tant les dialogues sont obscurs, abscons.... ou philosophiques. Ça s'adresse à tous ceux qui aiment le cinéma autrement, le cinéma ailleurs, le cinéma comme art détaché de la vie, la création à l'état pur. Le cinéma qui ose tout quoi! Ne ratez pas ce moment là. Il ne reviendra pas de si tôt....