Si les animations américaines et japonaises sont les plus célèbres car aussi les plus commerciales, l’animation française occupe depuis son origine une place à part dans cet univers qui côtoie étroitement la bande dessinée et la prose des contes pour enfants (qui ne le sont pas toujours). Si c’est en 1892 qu’Emile Reynaud propose au Musée Grévin ses « Pantomimes lumineuses » dans le cadre de son « Théâtre Optique » suivi en 1908 par Emile Courtet qui inaugure avec « Fantasmagorie », le premier dessin animé français sur pellicule, c’est Paul Grimault qui en marge de la suprématie des studios Disney donne une aura internationale à l’animation française avec notamment son chef d’œuvre « Le roi et l’oiseau » (1979), version revue et corrigée de « La bergère et le ramoneur » (1953), son premier long métrage. Dans son sillage, s’engouffrent René Laloux (« La planète sauvage » en 1973, « Les maîtres du temps » en 1982), Jean-François Laguionie (« Le château des singes » en 1999, « Le tableau » en 2011), Michel Ocelot (« Kirikou et la sorcière » en 1998, « Azur et Azmar » en 2006), Sylvain Chomet (« Les triplettes de Belleville » en 2003) ou encore Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi (« Persepolis » en 2007). Une production toujours vivace, innovante et parfois engagée qui a poursuivi tranquillement sa route jusqu’à nos jours. Jean-François Laguionie, né en 1939 à Besançon, se destinait tout d’abord à la décoration pour le théâtre avant sa rencontre décisive avec Paul Grimault qui l’initie à l’animation. Celui-ci produira à la suite trois courts-métrages de son poulain. Après treize années où il se cantonne au court-métrage, il réalise son premier long métrage en 1984 avec « Gwenn, le livre des sables » puis crée en 1985 « La Fondation », son propre studio situé à Saint-Laurent-le-Minier dans le Gard où il réside. « Le tableau » réalisé en 2011 est une œuvre de la maturité, l’artiste approchant les 70 ans quand il travaille sur le projet. C’est Anik Le Ray qui avait déjà travaillé avec Laguionie sur « L’île de Black Mör » qui dès 2004 réfléchit au scénario de leur prochain long métrage. Les longs métrages d’animation sont des travaux de longue haleine si l’on considère les méthodes de fabrication françaises artisanales par rapport à celles des studios hollywoodiens. Le scénario est une étape très importante car chez un artiste comme Jean-François Laguionie, il détermine le graphisme et l’animation des personnages. D’autre part, il doit être minutieusement construit pour s’adresser à un large public comprenant les enfants et leurs parents. L’économie du genre demeure en effet fragile. C’est pour toutes ces raisons qu’Anik Le Ray qui avait au départ centré son intrigue sur la relation entre un peintre et son modèle, intégrée à une réflexion sur le processus de création, a décidé d’y ajouter une part d’aventure. Celle-ci sera matérialisée par l’évasion de personnages peints hors du cadre du tableau, partis à la recherche du peintre qui n’a pas complétement achevé sa création, notamment des personnages dont certains au stade d’ébauche (« les reufs ») ajoutés à d’autres imparfaits (« les Pafinis »), subissent la domination des tout peints (« les Toupins ») arrogants car sûrs de leur supériorité. L’introduction bienvenue de cette diversion ajoute une dimension sociale au « Tableau » par le biais du conflit jamais résolu entre les classes sociales qui s’incruste jusque dans une œuvre inerte pour ensuite reprendre vie grâce au talent de Laguionie. L’interrogation sur le processus de création sans doute la plus intéressante est ici clairement posée qui voit les personnages contester leur statut de simples choses imaginées ex-nihilo. On se demande souvent si l’œuvre une fois aboutie appartient encore à celui qui l’a enfantée. La problématique est posée de manière ludique, maligne et relativement pédagogique par Anik Le Ray. Le graphisme qui mélange harmonieusement décors en deux dimensions et images de synthèse, sert remarquablement le propos, même s’il faudra s’habituer à une animatique loin des standards en cours où l’agitation et la trépidation sont la règle. Il convient de souligner que Jean-François Laguionie aura passé deux ans pour concevoir la mise en image (2000 dessins à raison d’un par plan) du travail d’Anik le Ray. « Le tableau » qui n’émerveille pas par l’inventivité de son graphisme émeut surtout par la poésie qui se dégage de ses personnages en quête d’eux-mêmes pour enfin donner un sens à leur présence sur une toile peinte. Le créateur ne peut rien pour eux ? Ils se saisiront de son matériel pour laisser libre cours à leur fantaisie dans un joyeux débordement final. Au-delà des différences qui sont toujours source de tension et de tentation dominatrice, le scénario rappelle que le bonheur ne peut venir du seul créateur mais aussi de la capacité de ses sujets à s’en saisir. Peut-être une morale qui cherche à prévenir des temps incertains à venir.