Qui voit Molène voit sa peine, dit le dicton. Je l'avoue, je suis allé à reculons voir "Les Seigneurs", peu encouragé par une critique moyenne et une bande-annonce qui ne suggèrait guère la finesse, et je commençais à fourbir les expressions pour ma critique : "carton rouge", "hors jeu", "passe téléphonée", "c.s.c."... Le film débute par une scène d'exultation après une victoire, où le Stade de France célèbre le n°10 d'une équipe tricolore portant le maillot de 1998, au gabarit plus proche de Maradona période cure à Cuba que de Zizou. Sa remontée du couloir est ponctuée de unes de journaux qui décrivent le chemin de croix de l'ancienne star, se finissant par celle de Libé "De la pelouse au parquet", et par une lumière blafarde qui montre un homme vieilli qui disparait dans le noir sous le bloc "SORTIE". Tiens, il y aurait un peu de cinéma ?
La première partie du film, très dynamique, rappelle le début de "Space Cowboys", quand Clint Eastwood part à la recherche des anciens du projet Daedalus. Chaque rencontre avec un des anciens coéquipiers d'Obrera raconte une histoire, et les passionnés de foot peuvent donner des noms aux situations racontées : Omar Sy et la malformation cardiaque de Thuram découverte à 36 ans, Franck Dubosc et la Panenka ratée de Landreau, Joey Starr et le kung-fu de Cantona ; quant à Ramzy son côté guévariste et son goût pour la coke évoque El pibe de Oro, et son penchant pour les très jeunes escort girls, je vous laisse deviner, vous avez le choix... sans oublier son envie de gardien de jouer avant-centre, on a vu Barthez à ce poste avec France 98. Reste Gad Elmaleh en footballeur enfantin et dépressif ("Ils ont supprimé mon personnage sur FIFA 13 !"), au-dela de sa ressemblance avec Riccardo Montolivo, et bien... il fait (bien) du Gad Elmaleh.
C'est d'ailleurs un choix assumé d'Olivier Dahan que de jouer l'identification des acteurs et des personnages, comme l'explique Franck Dubosc : "Il n’y a pas eu de confrontation d’humour parce que chacun était dans son propre registre. Il ne s’agissait pas de jouer autre chose ; au contraire, il fallait jouer ce que l’on connaît le mieux. Avec autant d’acteurs, les gens n’ont pas le temps de rentrer dans une philosophie. Les spectateurs doivent tout de suite percevoir et admettre ce que l’on est." Le risque était d'enfiler ainsi une suite de sketchs, et c'est parfois le cas, ce qui n'est d'ailleurs pas gênant quand ils sont drôles, comme la scène où Gad Elmaleh mime les joueurs et l'arbitre sur FIFA 13. Mais il y a quand même une histoire, un fil rouge assuré par José Garcia et surtout par Jean-Pierre Marielle qui joue avec son brio habituel le président du club de la Mer d'Iroise.
Signe des temps, l'enjeu sportif se double d'un enjeu social avec la menace de fermeture de la conserverie, et le film retrouve des accents britanniques dans cette dimension-là, on pense à "The Full Monty" ou aux "Virtuoses", même s'il y a un petit côté clip du Front de Gauche dans certaines scènes. Les scènes de match ont été conçues comme des chorégraphies, et elles s'intègrent efficacement au récit ; Olivier Dahan réussit à se renouveler pour les trois matchs successifs, avec notamment un beau ralenti, un montage parallèle et une musique de suspens... pour une superbe toile ! Les répliques fusent, souvent drôles, comme cet échange presque subliminal entre Ramzi et Frédérique Bel, escort girl embauchée à l'auberge du village pour remonter le moral des troupes : "Il y a trop d'exploitation - Oui, ça tue l'exploitation !"
Alors oui, ce n'est pas toujours très fin, comme la scène du slip porte-bonheur de Gad Elmaleh, ou tout le personnage d'acteur refoulé de Franck Dubosc. Si toute la morale de l'histoire est bien sûr très prévisible, Olivier Dahan réussit plusieurs fois à prendre le contrepied des situations attendues, à commencer par le résultat du match contre l'O.M., à mon grand soulagement de supporter ciel et blanc. Mais la force principale du film réside sans doute dans un rythme qui reste presque constant (légère baisse sur la fin), et un mélange d'énergie et de sincérité qui cadre avec le propos du film. Et puis, deux jours après l'avoir entendu chanter "Paroles, paroles" dans "Do Not Disturb", j'ai pu entendre Joey Starr beugler "Tri Martelod", Nolwenn n'a qu'à bien se tenir !
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