N'en déplaise à celles & ceux qui ont le rire difficile, j'ai vu des centaines de ce qu'on appelle familièrement "dessins animés" : eh bien, je n'ai jamais autant ri. Les longs-métrages d'animation impertinents comme "Shrek" ou "L'Age de glace" ont souvent, à mon sens, la particularité d'amener la ou les séquences d'émotion et/ou de réflexion de manière abrupte et qui tranche avec le reste du film ; c'est du moins l'analyse que j'en fait. Est-ce un défaut ? Pas sûr... Ce qui est certain, c'est que "Ferdinand", lui, parvient à "faire autrement". Cette masse imposante qu'est le héros principal est de bout en bout touchant, même dans les séquences les plus déjantées. C'est une des réussites de ce film : le fil rouge n'est pas simplement dans les personnages, que l'on suivrait dans différentes péripéties qui auraient pour seul mot d'ordre le rythme ou l'invraisemblance qui profitent au divertissement pur ; ou bien encore, l'impossible plausible cher au grand Walt qui tient le spectateur par l'émerveillement (bien que notre tendance à l'émerveillement ait tendance à s'émousser au fil du temps). Dans "Ferdinand", ce qui fonctionne et nous porte, c'est que le fil rouge tient aussi à la profonde empathie que l'on éprouve pour le personnage principal tout au long du film, son "épaisseur" psychologique, ses traits d'esprit, son caractère, ses réflexions, ses prises de position, ses attitudes et ses regards archi-humains. D'aucuns diront peut-être qu'il ne faut rien exagérer non plus, et pourtant : ce qui fait que les séquences burlesques (nombreuses !) demeurent supportables, drôles et fines (même les moins subtiles), c'est que nous les voyons, nous les vivons à travers les yeux et l'esprit de Ferdinand.
J'ai lu que pour certaines & certains les premières minutes avaient semblé longues et convenues. Mais il y a un point que je n'ai pas vu relevé par les critiques que j'ai pu lire sur ce site (et je les ai toutes lues !) : c'est que durant ces premières minutes, ce qui porte, ou est censé porter (cela n'a pas fonctionné chez tout le monde, visiblement), ce sont les clins d'œil au cartoon Disney de 1938, mâtinés des différences proposées ; en gros : "Vous vous souvenez ? Nous allons vous raconter l'histoire de ce gentil petit taurillon... Vous le reconnaissez ? (et pour cause, la ressemblance est frappante avec le personnage Disney)... Oui mais... Nous allons parsemer cette histoire de quelques différences... voici les premières..." Pour toutes celles & ceux qui ont parfaitement en mémoire le cartoon de 1938, ces premières minutes sonnent comme une invitation, un clin d'œil complice aux connaisseurs. Le parti pris n'est pas de "trancher" avec la précédente adaptation, au contraire : c'est bien plutôt d'installer l'habitué en terrain familier et d'égrener les différences petit à petit, comme pour ne pas contrarier un souvenir d'enfance longtemps chéri et adulé comme une madeleine de Proust...
Alors, bien sûr, on peut également relever le message anti-corrida. Et pourtant, à regarder ce film de plus près, ce message n'est jamais clairement explicité ; rien ne vient dire clairement : "plus jamais de corridas !". Le message est plus subtil, dans le ressenti, dans la réflexion des protagonistes et dans celles qui nous viennent à l'esprit, à nous, spectateurs. Certains diront peut-être qu'en ce sens, le film manque de courage à ne vouloir déplaire à personne, à rester peut-être trop consensuel sur la critique de la tauromachie ou bien encore qu'il ne la critique que du bout des lèvres sans oser le crier franchement. Eh bien, justement, francs, soyons-le : honnêtement, si nous savons lire entre les lignes, certes, le film n'est pas un film militant, mais je ne le trouve ni consensuel ni timoré. Et, perso, je trouve l'effet plus fort si l'avis final est laissé à la discrétion du spectateur. A quoi sert le cri quand le murmure suffit ? A quoi sert la colère et l'indignation quand le rire peut faire aussi bien et peut-être même mieux ?