"La Fée", c'est un peu la bonne manière de rire du quotidien et des affres de nos sociétés contemporaines. Ou l'histoire de Dom, un veilleur de nuit dans un hôtel du Havre qui un soir, donne la clé d'une chambre à une fée. Celle-ci lui accomplit deux voeux et disparaît avant même que Dom n'ait choisi son troisième. S'ensuit une histoire d'amour où le prolo se met en tête de retrouver cette âme soeur venue à lui. Comme dans "Rumba", le trio Abel-Gordon-Romy applique des codes propres à leur espace scénique (car les situations du film ressemblent souvent à du théâtre filmé), à leur humour et la portée de celui-ci jusqu'à le faire dériver dans la contemplation d'une problématique en toile de fond, ici un petit groupe d'immigrés africains qui veulent prendre le ferry. Comme à l'accoutumée le langage du film se tient sur l'utilisation économique du mouvement d'appareil puisque tout ou presque est relié en plans fixes. Même lorsque les personnages courent, aucun découpage serré n'est à signaler. La matière comique de ce trio de cinéaste tient plus que jamais dans le silence, l'attente, la répétition, c'est à dire les trois critères fondamentaux de l'absurde. La mise en scène se déroule en tableaux uniquement, mais contrairement à Tati dont ils reprennent souvent les ficelles, l'inégalité des gags plombe le film par manque de substance dramaturgique. Soit le film aurait du assumer de n'être qu'une succession de sketches se reliant difficilement entre eux, comme parfois il arrive chez Tati (notamment dans "Playtime"), soit le contraste entre comédie pure, surréalisme poétique et humanisme social aurait du s'accorder dans une même unité de ton comique. En l'état il manque soit de l'exagération dans les gags anecdotiques, soit du lyrisme lorsqu'il s'agit de filmer les faiblesses humaines et la simplicité des hommes. Ce qui reviendrait à dire un peu sévèrement que, malgré tous les efforts réunis, le film manque d'humour et peine à toucher. L'énergie déployée est belle, la sensation d'un artisanat est tout à fait charmante, mais "La Fée" semble malgré tout consensuel dans sa naïveté un peu trop mise en scène. On ne peut pas reprocher aux cinéastes leur optimisme et la coloration des sentiments qui s'effectue à mesure que le film avance, mais la mise en scène, économique, en montre paradoxalement trop. Au contraire de "Rumba" dont le rythme de danse tenait le film dans une jubilation musicale et comique qui ne flêchissait pas, "La Fée" semble construit sur des creux, des mélanges pas toujours heureux qui produisent un effet de bonheur puis d'ennui. Abel, Gordon et Romy semblent en fait avoir confondu le surréalisme avec le fantastique, et ont donné à leur film trop de clarté et de démonstration (autant dans le visuel que, par conséquence, dans le propos), faisant ainsi de notre imagination de spectateur une notion oubliée et qui ne fonctionne pas devant ce film. Celle-ci est au service de rien, car ce qui est plaqué à l'écran, et parfois avec une inventivité merveilleuse, ne tient que de l'imagination de ses auteurs, démontrée dans ses moindres détails.