LA FIN DU MONDE... DES HOMMES : Jetant un regard acide, acerbe et justifié sur notre civilisation occidentale et contemporaine, « Goodbye Mister Christie » s'impose dès les premières répliques comme un film hors norme, ne suivant aucun des sentiers battus, ne s'inscrivant dans aucune lignée tant sa puissance oratoire, réflexive et critique dépasse de loin tout ce qui est peut-être proposé en ce moment, quasiment tout. Ainsi, dès le début, l'on se rend compte que nous avons affaire à un objet non-identifié, d'une liberté totale dans son propos, ne souhaitant séduire personne, seulement dire ce qu'il a à dire ; et c'est déjà assez rare pour être souligné. Ce film d'animation déborde de toute part, il explose littéralement à la gueule du spectateur, lui impose son discours et ne peut le laisser insensible ; cet engagement intense ne peut laisser de marbre sinon sommes-nous simplement venus nous divertir dans la grande salle noir des désillusions ? Avec ses graphismes simplistes, efficaces, ses marques noirs sans yeux, déjà la prescience d'une fatalité à venir, d'un vide absolu, ses seconds plans ridicules, ironiques, ses mouvements lents, redondants, répétitifs ; visuellement, l'œuvre est d'ors et déjà d'une puissance évocatoire rare et unique. Cette relative simplicité, loin de desservir la cohérence et la force de la paroles, s'inscrit dans une lignée qui vise le dépouillement pour atteindre un sens illimité, un non-sens parfois, une plongée dans l'absurde. Car, oui, que sont-ils ces visages, ces masques pantominiques, découpés, emprisonnés dans leur mouvement, leur immobilité, si ce n'est la préfiguration d'une sombre destinée, sans espoir aucun ? Aspect marquant de l'animation, les fioritures ne sont pas de mise, c'est presque du Beckett au niveau du décor, il n'y a rien, un ciel sans étoiles et sans lune et chaque soleil est inventé, rien n'existe. Mais ne nous arrêtons pas à cela, Phil Mulloy va beaucoup plus loin à travers les propos et les thèmes qu'ils développent, toujours avec une amertume, une ironie graveleuse, qui peine à passer tant elle vise des vérités sur nos pauvres vies d'humaine en décomposition. Toutes nos belles valeurs, fondations de la civilisation et de la survie humaine, sont jetées sous les flammes de la persécution et de la dénonciation : la déchéance de la famille et de ce qui la constitue ( l'enfant répétant à son père 'hypocrite, hypocrite, hypocrite' comme premier grand symbole d'une autorité parentale débordée, du fait de son laxisme certes mais également de la prise de conscience de l'enfant qui sent bien qu'il n'y a de vérité nulle part dans ce que sont ses parents ), la sexualité en tant qu'instrument de plaisir déshumanisé, dénaturé de sa jouissance première ( car si les protagonistes font des 'va et vient' pour reprendre les termes du film, jamais ils ne paraissent jouir de leur corps, ils s'enfilent comme des bêtes et encore, il y a ce néant rôdeur toujours prêt à bondir ), le décadence de l'esprit religieux ( qui s'incarne ici jusque dans l'homme d'église lui-même, mille fois plus coupable, perfide et mauvais que ceux qu'ils conseillent, vainement ), la lâcheté et la fuite devant la diversité ( avec Mister Christie qui se creuse un trou pour demeurer 'tranquille', qui fuit ses responsabilités et pourtant qui n'atteint en aucun cas la paix espérer, le monde est partout, dominant, accablant, destructeur ), l'impossibilité de communiquer ( bien sur lorsque les personnages ne se comprennent guère, faute à la langue et aux accents mais surtout lorsqu'ils pensent se comprendre mais n'entendent rien de ce que l'autre dit, trop ancrés qu'ils sont sur leur position sclérosée et vouée à mourir avec eux-mêmes ), la mort, la violence, l'amour, le ridicule surtout avec cette phrase : « Le ridicule est une des conditions de l'existence », pleine d'une lucidité perçante appuyée par le fait que Mister Christie se trouve propulser sur le devant de la scène mondiale parce qu'il a été 'filmé avec le pantalon sur les chevilles'... Bref, à trop en dire nous perdons de la substance et de l'impact, il faut courir aller voir ce « Goodbye Mister Christie » ; pessimiste, noir, implacable, brillant, remarquable, un premier pas vers le néant et ce « Dieu est mort » Nietzschéen.