Subjugué. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit à la fin du générique. Subjugué par une actrice qui réalise une prestation inégalable, ainsi que par une patte artistique qui se fond parfaitement dans l'idée du film pour rendre l'immersion interminable. Another Earth représente typiquement le film qui n'a pas besoin d'expliquer les choses. Un spectateur peut comprendre sans explications. Pas de logique physique, pas de dialogues denses, juste des images, brèves, des gestes, furtifs, des regards, profonds. Une expérience qui prend tout son sens de la première à la dernière minute, en nous laissant muet devant l'écran.
La capacité de Mike Cahill et Brit Marling à effectuer le parfait mariage de la science et de la philosophie rend l'expérience tout simplement inoubliable. Beaucoup le définissent comme le Melancholia du pauvre. Je n'ai toujours pas vu le film de Lars von Trier, je peux donc considérer celui-ci avec une certaine objectivité. Une chose est sûre : Dans ce qu'il montre et dans ce qu'il raconte, Another Earth fait partie des rares bijoux diffusés de nos jours, qui se doivent d'être apprécier à leur juste valeur.
L'idée d'une planète miroir dans laquelle vit notre double n'est heureusement pas exploitée à une fin basique et sans intérêt. Tout le travail se situe dans la psychologie des personnages, leurs réactions vis-à-vis des possibilités qu'un tel phénomène offre. Mike Cahill fait le choix de ne pas camper dans le passé, ni même dans le présent, mais il offre toujours cette vision du futur, qui suinte du long-métrage. Le futur devient plus important que le présent, l'autre devient plus important que le soi, la terre 2 devient plus importante que la terre 1.
Que faire ? Quoi penser ? Quoi imaginer ? Another Earth offre l'accès aux rêves les plus fous, à l'imaginaire le plus insoupçonné. Et cet imaginaire devient réel pour les personnages, et il devient donc réel pour nous. Pendant 1h30 nous pensons, comme eux, nous espérons, comme eux, nous vivons, comme eux. Et si l'unité que nous semblons créer avec les personnages est si profonde, c'est grâce à la relation des deux acteurs principaux qui, sans en dire plus, est la combinaison émotionnelle idéale de la brutalité et de la douceur.
Brit Marling n'aurait pu faire meilleure interprétation. Nous arrivons à comprendre son personnage comme si nous avions accès à plus d'informations que ce qui nous est dévoilé, comme si nous la connaissions depuis toujours. C'est ce qu'elle arrive à faire ressortir avec brio, une part de nous qui est mise en relief le temps d'un film. Nous l'observons comme si nous nous observions nous-mêmes, l'ironie même du thème général. L'écran de projection devient une planète miroir, dans laquelle on peut retrouver nos sentiments, nos doutes, nos rêves, et c'est ce qui nous marque, plus que tout.
La jeune Rhoda est très certainement le personnage féminin pour lequel j'ai ressenti le plus d'empathie depuis des années. Ses cheveux blonds, qui lui donne la sensation d'illuminer le décor, et son côté fragile, la rendent indescriptible, unique. La scène du spationaute russe est par ailleurs une des merveilles de 2011. Une simple explication, qui prend tout son sens grâce au jeu d'acteur et à cette recherche artistique continue.
Une douceur visuelle et sonore, renforcée dans ce balais d'évènements toujours plus poignants et significatifs. Une fin qui se veut en accord avec le but du film. Qui laisse donc place à l'imaginaire, au rêve, mais aussi aux doutes. Belle mais incertaine, poétique mais frustrante, elle est ce qu'elle devrait être et rend la dernière scène extrêmement puissante.
Another Earth glisse des notions d'espoir et d'abandon, de bien et de mal, d'égoïsme et de partage, le tout magnifié par cette idée de double destin. Rythmé par des images au teint psychédélique, une lenteur ambiante propre à l'histoire, ainsi qu'un travail sonore de tous les instants, Cahill et Marling confirment qu'ils viennent très probablement d'une autre planète pour être à même de livrer un tel chef-d'oeuvre.