Avec ‘’Take Shelter’’, Jeff Nichols qui signait là son deuxième film, venait conquérir le coeur des critiques. Presque unanimement salué par la critique (internationale comme française), ce film fut récompensé par plusieurs prix (dont deux prix à Cannes). Un succès critique tout à fait mérité, qui promettait à Jeff Nichols une belle carrière.
Curtis LaForche (Michael Shannon) vit dans l’Ohio avec sa femme Samantha (Jessica Chastain) et sa fille Hannah, atteinte de surdité. Depuis quelques temps, Curtis est assailli par des visions de tornades ou encore par des cauchemars où ils sont, lui et sa famille, sauvagement attaqués. Curtis s’interroge : est-il, comme l’était sa mère, atteint de folie, ou a-t-il des prémonitions de ce qui pourrait arriver ? Se détachant peu à peu de sa famille et de ses amis, Curtis n’a qu’une idée en tête : renforcer l’abri anti-tempête qui se trouve dans son jardin.
Plusieurs fois, Jeff Nichols a confié être un grand admirateur du cinéma de Terrence Malick (son film préféré est d’ailleurs ‘’La balade sauvage’’ sorti en 1973). Dans un premier temps, on peut en effet voir une filiation entre les deux réalisateurs. Notamment dans la petitesse de l’homme face à une nature toute puissante. Par ailleurs, Jeff Nichols accorde une grande importance au son, au détriment parfois des dialogues. Nichols aime le bruit des orage, de la pluie en train de tomber, des aboiements du chien en début de film… Tout contribue à ce que ‘’Take Shelter’’ à l’instar des films de Malick soit un film de sensation, et non d’action. Enfin, on peut établir un rapprochement entre ‘’Take Shelter’’ et ‘’The Tree of life’’, sorti la même année : une famille dans la campagne américaine est en train de se détruire. Est-ce un hasard si Jessica Chastain, dont l’année 2011 fut l’année de sa révélation, interprète une mère aimante et bienveillante dans les deux films ? Pourtant, il existe un paradoxe puisque ‘’Take Shelter’’ tout en se rapprochant de l’oeuvre de Malick en est aussi l’antithèse totale. D’une Nature souvent bienfaisante (chez Malick), on passe à une Nature qui dégénère (chez Nichols). Dans ‘’Take Shelter’’, l’homme incarné par Shannon s’éloigne de cette nature. Ici, pas d’union entre l’homme et la nature à la Emerson, au contraire le film décrit le repli sur lui-même d’un homme. Le titre ‘’Take Shelter’’ (se mettre à l’abri) est à double sens. Si au sens propre, le titre représente l’obsession de Curtis à renforce l’abri anti-tempête, le sens figuré est beaucoup plus pessimiste. Se mettre à l’abri pourrait représenter la manière qu’à Curtis à s’enfermer, à ne plus communiquer, à cacher à sa femme ses cauchemars. Il faut tout de même rassurer les détracteurs de Malick : ‘’Take Shelter’’ a le mérite d’être beaucoup plus accessible que les œuvres récentes de Malick. Nichols évite les dangers qui guettent ce genre de film : la confusion, l’ennui et l’illisibilité. Nichols réalise un film incontestablement troublant certes, mais aussi incroyablement fluide, précis et par dessus tout compréhensible. On ressent les doutes du héros, on hésite comme lui sans jamais qu’on ne se détache du film. C’était le plus difficile : nous passionner pour un film mental. Nichols y parvient sans jamais délaisser une certaine forme de spectaculaire : les scènes de visions sont impressionnantes.
Mais la vraie beauté du film (outre sa beauté formelle), c’est le rapport entre un homme et sa famille. Des films où un homme sombre dans la folie (peut-être, le doute est maintenu) au point de s’éloigner de sa famille, on connaît. Même quand l’intrigue se déroule dans un petit périmètre. Exemple tout bête : ‘’Shining’’ de Kubrick correspond à cette description. Non, ce qui est fort, c’est que Curtis perçoit son hypothétique folie. Shannon est un excellent acteur dès qu’il s’agit d’interpréter des rôles de névrosés. Mais là où habituellement, les ‘’fous’’ ne se rendent pas comptent qu’ils le sont (comme le héros de ‘’Bug’’ qu’interprétait déjà Michael Shannon), Curtis s’aperçoit qu’il est en train de changer. Curtis dont la mère était folle semble savoir qu’il peut l’être à son tour. Le personnage réalise donc des tests pour savoir s’il est schizophrène et se rend chez le psy pour parler de ses tourments. Mais Curtis reste en proie au doute. Est-il réellement fou ? Même si tout semble être contre lui (il est le seul à avoir des visions), faut-il abandonner son idée de renforcer l’abri ? Et la réponse est : oui et non.
Oui car comme il nous l’est révélé, lors du superbe final, la fin du monde va belle et bien se produire. Curtis avait en effet des prémonitions. Par conséquent, rester dans l’abri aurait peut-être pu permettre à Curtis et sa famille de survivre à la catastrophe. Pourtant, la fin n’est pas aussi pessimiste qu’elle n’en a l’air. En contemplant de la plage où ils passent leurs vacances (plage qui est la petite sœur de celle qui apparaît à la fin ‘’La cinquième vague’’ de Peter Weir) l’horizon déchaîné , Samantha et Hannah comprennent que Curtis avait raison. Elles comprennent que Curtis n’était pas fou. Et ainsi, les Laforche se retrouvent unis : Curtis n’a plus à devoir s’interroger sur sa prétendue folie. Rares sont les films sur la fin du monde où l’arrivée de cette dernière est salutaire. Salutaire car cette fin du monde vient vaincre l’antagoniste caché du film : la soi-disante folie de Curtis, qui établissait une barrière entre Curtis et sa famille. Curtis n’a plus à affronter la peur qui le hantait depuis des années : la peur d’être atteint de folie comme l’était sa mère. Cette famille se reconstitue donc, au moment où ils auront besoin d’être ensemble face à la mort
. Une fin qui n’est donc pas si triste que cela.
Œuvre choc, expérience sensorielle et réflexion sur la possible folie d’un homme, ‘’Take Shelter’’ est tout cela à la fois. C’est aussi un émouvant drame
où une famille est paradoxalement sauvé par la fin du monde
. Un film qui confirma l’acteur Michael Shannon et révéla l’actrice Jessica Chastain et le réalisateur Jeff Nichols, tous prêt à connaître des brillantes carrières.