Après "Renoir", qui ne retenait qu’une courte période de la vie du peintre, voici "Hitchcock", qui fait de même, en se concentrant sur 1959-1960, lorsque Hitchcock conçut le projet de faire un film d’horreur qui soit enfin dû à un bon réalisateur ! Et le mena jusqu’à son terme, en dépit des studios, qui traînèrent les pieds, chicanant sur le moindre détail. Spielberg a suivi la même voie avec son "Lincoln".
L’ennui, avec cette pseudo-biographie aussi plate et dépourvue d’invention qu’un téléfilm, c’est que les spectateurs qui la verront risqueront de prendre pour argent comptant les erreurs et sottises dont elle est truffée, la pire étant peut-être d’avoir choisi Helen Mirren, qui est une grande et belle actrice, pour jouer le rôle de madame Hitchcock, sa collaboratrice Alma Reville, une petite femme pas très gâtée par la nature et généralement mal fagotée, plus proche physiquement d’Édith Piaf que de Mrs Mirren – mais Hitch, complètement vierge, avait épousé la première fille qui avait voulu de lui.
Non contents de cela, le scénariste et l’auteur du livre à partir duquel il a écrit cette histoire inventent qu’Alma, tyran domestique, lasse d’être toujours au second plan, veut échapper à son génial mais encombrant mari, s’en va collaborer avec un auteur de scénarios dont ledit mari dénigre la production, et que le maître, croyant à un adultère, est au bord de faire un drame – non filmé celui-là. Et puis, raconter qu’après "La mort aux trousses", qui fut un triomphe, Hitchcock est quasiment considéré comme un "has been" bien trop vieux (soixante ans), c’est envoyer le bouchon un peu loin !
Les détails inexacts abondent. Ainsi, il est faux que le réalisateur ait lu le roman policier de Robert Bloch "Psycho", et se soit emballé pour ce livre assez médiocre – et mensonger, pensait Truffaut, puisque le livre prête un dialogue à "la mère", Mrs Bates, et la traite comme si elle vivait réellement, alors que seul son corps empaillé reste dans la maison. En réalité, Hitchcock lisait très peu de romans, il laissait lire par des collaborateurs ceux qu’on lui proposait, et faisait construire un scénario par divers professionnels à partir du synopsis qu’on en avait tiré. Il est tout aussi inexact et ridicule que, pour la scène du meurtre sous la douche, Hitchcock, perdant la tête à ce moment, se soit mis à donner des coups de couteau dans le vide pour arracher des cris à son actrice ! Tout aussi faux qu’Alma était à ce point présente dans les studios (où elle ne mettait jamais les pieds), et qu’elle a... remplacé son mari lorsqu’il fut malade, pour la scène où le détective Arbogast se fait poignarder dans l’escalier : en fait, ce jour-là, Hitchcock a laissé tourner son premier assistant, mais n’a pas gardé le résultat, qui ne convenait pas. Il y a aussi cette scène de colère, complètement inventée, puisque Hitchcock était connu pour ne jamais s’énerver : quand quelqu’un l’agaçait, il exprimait son dédain des conflits en tournant le dos au casse-pieds ou en quittant le plateau !
Et puis, ces oublis un peu voyants : Patricia Hitchcock n’apparaît à aucun moment, alors qu’elle est un personnage du début de "Psychose". Et Bernard Herrmann, le génial musicien dont les compositions ont joué un rôle primordial dans les sept films d’Hitchcock auxquels il a collaboré, n’a aucune scène et reste invisible, bien que le générique de fin cite le nom de son interprète et qu’on mentionne son intervention pour musiquer la scène de la douche, que le réalisateur aurait voulu muette (il avait tort, c’est la musique qui crée l’impact à ce moment précis).
Sur le plan positif, retenons l’interprétation d’Anthony Hopkins, qui, à défaut de ressembler à son personnage, en a imité correctement la voix, et celle de James D’Arcy, incarnant un Anthony Perkins tout à fait convenable et conforme à ce qu’était cet acteur, romantique au point d’habiter un studio sur la butte Montmartre et d’enregistrer en français une chanson de Guy Béart !
La chute est prévisible : après le triomphe de "Psychose", le maître, face à la caméra, s’adresse à nous, et souhaite que quelque chose survienne pour lui fournir l’inspiration de son prochain film ; à ce moment, j’étais certain qu’un oiseau entrerait dans le champ. Effectivement, un merle vient alors se poser sur son épaule.
Une curiosité : les studios Paramount sont seuls cités, mais le film a été réalisé dans les studios 18 et 28 d’Universal, et la maison des Bates se trouve toujours sur le terrain de cette firme, incluse dans le parcours réservé aux touristes et qui a été conservée (on y a tourné trois suites du film).
En bref : inutile de se déranger.