Étonnant comme parfois de simples petits films qui tiennent d’avantage de l’anecdote sont pourvus d’un attrait aussi fort. Alexander Payne s’y connaît évidemment comme personne pour faire du portrait familial un sujet fort. Si le metteur en scène n’aura sincèrement pas toujours su faire de ses films des modèles du genre, celui-ci est une pure réussite, toujours dans le même genre. Après le jeune retraité, le jeune divorcé en quête de son héritage, voilà venu du tréfonds de l’Amérique profonde un vieil homme naïf ou simplement idéaliste partant à la recherche de son gain mirobolant. Seul personnage à ne pas afficher du pessimisme tout du long, le vieux Woody est d’un naturel confondant, d’une grâce filmique sans beaucoup d’équivalent. Oui, l’acteur, Bruce Dern, qui n’est pas né de la dernière des bruines mérite pour le coup amplement sa distinction aux Oscars.La force de Nebraska, outre d’être une formidable vitrine, en noir et blanc, d’une Amérique très profonde en phase descendante, une vitrine de paysages monochromes et d’une platitude qui rappelle les vastes et inquiétantes plaines de Fargo, est également l’une des plus belles fables sur l’âge avancé entrevue au cinéma depuis des décennies, voire plus. Bruce Dern ne force pas son trait, s’avachissant sur sa silhouette pourtant costaude et laissant sa tignasse partir au vent, entre littéralement dans la peau de Woody, vieillard tant têtu qu’attachant. Accablé par un passé qu’il passe sous silence, incapable de s’ouvrir aux autres, le vieil homme voit en cette chance de gagner le gros lot son unique façon de laisser son empreinte sur ceux qui passeront après lui. Son fils, incarné parfaitement par Will Forte, prend la route avec lui, non pas pour aller chercher quelque chose que le père espère, mais pour passer du temps avec lui, pour orchestré un pèlerinage sur les traces de la jeunesse et la famille de son père gâteux. Bruce Dern, toujours lui, assure le show dans ses frasques tantôt amusantes, tantôt touchantes. Incarnation plus vraie que nature d’un vieillard tel que l’on pourrait en croiser plein, l’on se marre devant ses confrontations dantesques avec sa femme, mégère au grand cœur. D’une autre part, l’on s’attriste à voir cet homme plein de regrets referment tout gentiment la porte sur sa vie passée et la vie tout court. Le personnage est si bien écrit qu’il s’étonne même que sa descendance puisse s’intéresser encore à sa jeunesse à lui. Nebraska ne dresse pas simplement le portrait passif d’un vieil homme, d’une famille, mais exploite au plus profond la condition de devenir vieux, très vieux. Étonné de voir ses proches s’attacher à lui, toujours un brin d’esprit ailleurs alors qu’on lui cause, Alexander Payne fait de son personnage une sorte d’enfant à qui il faut tout répéter, qui prend son temps pour saisir les choses et qui s’obstine à vivre selon ses convictions. Au final tout sera question d’héritage, mais pas financier, simplement d’estime de soi.Seule ombre au tableau, mais cela n’est que mon avis, l’utilisation inadéquate du noir et blanc. Si ce mode filmique permet certes à quelques occasions de faire ressortir toute la nostalgie contenue dans l’œuvre d’Alexander Payne, elle coupe au passage toute tentative de s’émerveiller devant les fantastiques plans larges du road movie qui compose l’essentiel du métrage. Les plans sont magnifiques mais les lignes de partage sont indistinctes. Dommages. Mais passons là-dessus et prenons acte du meilleur film de Payne à ce jour et de l’une des plus belles performances d’un acteur âgé au cinéma depuis belle lurette. Signalons tout de même quelques baisses gênantes du rythme, accentuées par des séquences presque mutiques qui ne collent pas franchement bien avec le ton donné aux divers dialogues tout au long du film. Presque un sans-faute, même si le thème est bien trop léger pour prétendre à l’appellation chef d’œuvre. Quelques kilomètres restent à parcourir à Alexander Payne pour qui celui-ci entre dans l’histoire comme une cinéaste référentiel. Mais il s’en approche tout gentiment. 16/20