Le truc imparable pour être catalogué artzéessai? Tourner en noir et blanc. Ca vous pose le bonhomme. Mais il ne faudrait pas que ça devienne une mode.
Parfois, le noir et blanc s'impose comme un évidence. Vous ne pouvez imaginer Heimat en couleurs! Dans le cas de Nebraska, il y a un peu de coquetterie d'auteur -l'emploi du noir et blanc ne sert guère qu'à accentuer l'effet désespérantesque de ces interminables plaines des Etats Unis, peuplées de petits blancs misérables et totalement abrutis.
C'est encore une histoire de filiation, une belle histoire entre un père et un fils. David, le fils: gentil, trop gentil. Woody, le père (l'excellent Bruce Dern, eh oui, celui qui a eu une bien charmante fille.....) est un vieil alcoolo aigri, qui n'a sûrement jamais été ni un bon père, ni un bon mari. (Il faut dire que la mère, June Squibb, une grosse pipelette méchante et vulgaire, ne prête pas particulièrement à l'attendrissement..... Ses sorties déplacées désespèrent David). Et maintenant, Woody en est arrivé à un point où l'on aimerait bien que le diagnostic d'Alzheimer soit posé, pour éviter de le cataloguer juste comme quelqu'un que la sénilité rend encore plus méchant....
Il a reçu une de ces annonces "vous êtes l'heureux gagnant d'un million de dollars", dont la diffusion en France est semble t-il, réglementée, ce qui nous empêche pas d'en trouver régulièrement dans notre courrier. Et il est persuadé d'avoir gagné. Toutes les objurgations de sa famille n'y font rien: c'est une réclame! c'est une arnaque! Il veut aller à Lincoln, Nebraska, et ramener son million. Et donc le trop gentil David va emmener son père, depuis le Montana, jusqu'à Lincoln, dans sa vieille voiture qui ne risque pas d'excès de vitesse. Pour lui faire un dernier petit plaisir, tant qu'il a un reste de conscience? Pour essayer d'avoir en quelques jours un vrai rapprochement humain qu'ils n'ont jamais connu?
En cours de route, ils traversent le bled où Woody est né, ce qui lui donne l'occasion de revoir quelques très anciens amis (David découvre que son père a été considéré comme un héros de la guerre de Corée!) et celle d'une grande réunion de famille, avec ses nombreux frères et leur descendance -des obèses ras-du-front dont la bagnole est le seul sujet de conversation- Oh, la famille! A part David, le seul être normal est son frère ainé Ross (Bob Odenkirk) qui présente les infos sur la chaine de télévision locale, et passe donc pour un sacré intellectuel....
La télévision mouline en permanence des matches de base ball ou du n'importe quoi, devant la famille avachie.... Mais tous sont persuadés que ce foutu Woody est vraiment devenu très riche! Et chacun de se rappeler comment il l'a aidé.... comment il lui a prêté de l'argent.... à commencer par son ancien ami et associé Ed (Stacy Keach), qui devient même menaçant.... Bref, finalement rien ne va bien se passer entre le supposé millionnaire et sa triste famille.
Le gentil David, c'est l'excellent Will Forte, que je ne connaissais pas du tout. Et on ne peut qu'admirer le travail de Bruce Dern. Ce regard absent, ailleurs, vide; et puis, lorsque la famille va visiter la maison natale de Woody, maintenant abandonnée et délabrée, son œil qui se réveille; il reconnait tout, la place de son lit, celle du lit de ses parents.... On sait que quand la mémoire fout le camp, ce sont les souvenirs d'enfance qui restent les derniers....
Alexander Payne a réalisé un joli film sur le naufrage de la vieillesse. Voilà un road movie qui ne ressemble en rien aux autres....