Le réalisateur Jérôme Salle est un admiraterur du commandant Cousteau depuis son enfance : "Cela me ramène à l’enfance... J’ai été élevé dans le Sud de la France, mes parents avaient un voilier et nous naviguions dans les endroits où Cousteau a plongé en premier, entre les Embiez, Porquerolles, toutes ces îles du Var. Je garde aussi évidemment le souvenir de ses documentaires à la télé. Dès le départ, ce personnage et son oeuvre étaient liés à ma propre vie", confie le cinéaste.
L'idée de départ du projet a été déclenchée par le fils de Jérôme Salle qui ne connaissait absolument pas le commandant Cousteau. Le cinéaste a dès lors compris que l'idole de son enfance était en train de sombrer dans l'oubli : "C’était incroyable car pour les gens de ma génération, le commandant Cousteau c’était un peu Jésus Christ, l’un des hommes les plus connus au monde... En discutant autour de moi, j’ai réalisé qu’il était en train de tomber complètement dans l’oubli pour les moins de 20 ans, voire les moins de 30 ans. J’ai donc commencé à regarder ce qui était écrit sur lui. Sur internet, dans les livres, j’ai revu des documentaires et tout cela au final a réveillé une nostalgie d’enfance. Je me suis également aperçu qu’à part le film de Wes Anderson La vie aquatique, aucun projet de cinéma n’avait jamais abordé ce destin exceptionnel. À partir de là, j’ai tiré comme sur le fil d’une pelote et j’ai vite senti un mystère : on sait très peu de choses sur Jacques-Yves Cousteau. Il maîtrisait parfaitement sa communication en se filmant avec son équipage mais sans jamais rien révéler de son intimité", explique le metteur en scène.
Au départ du projet, Romain Duris et Adrien Brody étaient pressentis pour se glisser dans la peau du commandant Cousteau avant que Jérôme Salle ne propose le rôle à Lambert Wilson. Quant à Pierre Niney, qui incarne Philippe, le fils de Cousteau, il était rattaché au projet dès le début mais son rôle devait être moins important. L'acteur césarisé pour Yves Saint-Laurent a même convaincu Jérôme Salle de donner plus de place à Philippe dans le film : "Quand nous nous sommes retrouvés, pour la dernière étape du tournage, sur le pont du bateau qui appareillait pour nous emmener vers l’Antarctique, nous nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Ça faisait si longtemps que l’on parlait de L’Odyssée, de ce voyage en Antarctique pour conclure le tournage et finalement on y était, on l’avait fait ! Pierre est un formidable acteur qui possède quelque chose de fort : un vrai sens de la narration, ce que les américains appellent le « storytelling ». Je pense qu’il saura s’en servir quand il passera à la réalisation de longs métrages, ce qui arrivera forcément un jour", affrme le réalisateur.
Jérôme Salle a rencontré de nombreux membres de la famille Cousteau pour la préparation du film, notamment Jan, veuve de Philippe (Pierre Niney), décédé tragiquement en 1979 dans un accident d'hydravion : "Jan est d’ailleurs venue sur le tournage. Je l’ai rencontrée il y a trois ou quatre ans à Washington là où elle vit. Nous avons déjeuné ensemble, elle a commencé à me raconter sa vie, à me parler de son mari décédé alors qu’elle attendait leur second enfant... En l’écoutant parler et en la voyant pleurer près de 40 ans après la mort de son mari, j’ai trouvé son histoire d’amour et de vie tellement belle, que j’ai décidé de donner plus d’importance à Philippe dans le film... Philippe Cousteau est un véritable héros de cinéma, y compris dans son destin tragique. Mais j’ai vraiment rencontré tous les Cousteau ou presque ! Quand je regarde la liste des Cousteau dans mon téléphone, je m’aperçois qu’il y en a plus que les membres de ma propre famille !"
L'Odyssée s'est tourné aux quatre coins du monde, de la Croatie à l’Afrique du Sud et l’Antarctique en passant par les Bahamas. L'équipe du film a d'ailleurs dû faire face à de rudes conditions de tournage en Antarctique, essuyant notamment une tempête. À noter que la Croatie figurait la Côte d’Azur française des années 40-50.
Jérôme Salle et Laurent Turner ont effectué un immense travail de recherche durant le processus d'écriture du scénario du film, lisant tout ce qui avait été écrit sur Cousteau et rencontrant les personnes qui l'avaient connu : "Nous avons d’abord effectué un immense travail de journaliste plus que de scénariste. Et une fois celui-ci effectué, nous nous sommes attelés à l’écriture. Je crois que c’était un bon scénario -en tout cas il plaisait- mais j’avais une petite frustration de mon côté. Le sentiment d’être un peu trop classique, un peu trop biopic d’une certaine manière. C’est sans doute la rencontre avec les acteurs qui a débloqué les choses. Pierre Niney, avec qui je voulais travailler, m’a conforté dans l’idée d’accorder plus de place au personnage de Philippe Cousteau, l’un des fils du commandant. À ce moment, l’opposition entre lui et son père m’a paru une évidence pour construire l’histoire du film... J’ai donc réécrit une nouvelle version en enlevant au passage une première partie sur la jeunesse de Cousteau, ce qui avait l’avantage de me permettre de proposer le rôle à Lambert Wilson qui m’a dit oui presque immédiatement, heureusement", relate le réalisateur.
L'Odysée bénéficie d'un budget conséquent s'élevant à environ 30 millions d'euros, une somme pas facile du tout à réunir pour Jérôme Salle : "C’est de loin le film que j’ai fait qui a eu le plus de mal à se financer... À l’échelle de la France, c’est évidemment un gros budget mais on n’a jamais assez d’argent au cinéma ! Je dois dire que L’Odyssée a été le résultat de l’investissement de chacun, j’entends par là que tout le monde a fait des efforts. Les acteurs en premier mais aussi les producteurs et moi bien sûr. Nous voulions tous que ce film puisse exister. C’était la blague qui courait durant le tournage : « on fait ça pour la planète » ! Je peux vous assurer que personne n’a fait ce film pour l’argent en tout cas !", s'exclame le cinéaste.
L'Odyssée comprend de magnifiques images de créatures marines, notamment des baleines et des requins, comme le raconte Jérôme Salle : "Ce sont des moments complètements uniques, fous... Je me souviens, toujours en Antarctique, lorsque nous nous sommes retrouvés une nuit dans une grande baie qui s’appelle Paradise Harbor, le vent était enfin tombé et dans ce cas, la mer se fige à cause de la température extrêmement basse. Il était une heure du matin et le soleil, qui ne se couche jamais sous ces latitudes en cette saison, était au raz de l’horizon. La lumière était juste sublime. Impossible de s’arrêter de tourner, même après 16 ou 17 heures d’affilées ! C’est un spectacle unique, d’une beauté incroyable, assez indescriptible d’ailleurs, que l’on essaye de saisir avec la caméra... C’est un des ultimes lieux sauvages de notre planète et nous n’y étions que de passage : c’était très fort. Vous me parliez des requins, c’est pareil ! Quand vous vous retrouvez face à un requin tigre de 4 mètres 50 de long, c’est aussi un moment fou, impressionnant, émouvant !"
Lambert Wilson a la particularité d'avoir incarné à l'écran deux figures emblématiques longtemps numéros 1 ou 2 du classement des personnalités préférés des français, l'abbé Pierre dans Hiver 54 et Cousteau dans L'Odyssée : "Dans ce genre d’exercice, il faut comprendre assez rapidement, metteur en scène et acteurs confondus, que ce que l’on va donner au public c’est une sensation, la vibration d’un personnage, pas une imitation. A la fin de Hiver 54, je ne ressemblais toujours pas à l’Abbé Pierre mais le plus beau compliment est venu des Compagnons qui m’ont dit l’avoir ressenti à travers mon interprétation. Dans L’Odyssée, je ressemble certes un peu à Cousteau mais j’espère que l’on percevra une véracité, une sincérité et surtout que ceux qui l’ont connu seront convaincus", confie le comédien.
Tout au long du tournage, Lambert Wilson s'est soumis à un régime draconien afin de se rapprocher au plus près physiquement du commandant Cousteau qui était très mince : "Lambert a eu faim constamment mais c’est à ce prix qu’il est devenu Cousteau. J’ajoute qu’au départ, il n’a pas du tout la morphologie de son modèle : c’est sa maigreur, cette sécheresse du corps qui crée l’illusion", indique Jérôme Salle. "Ce qui était difficile avec Cousteau, c’est qu’il fallait à la fois être maigre et faire des choses très physiques, comme la plongée. Le problème, c’est qu’en deçà d’un certain poids, on s’affaiblit. Moi, je devais aller sous l’eau en portant ces bouteilles d’oxygène très lourdes avec des journées de tournage de 14 heures donc je devais garder suffisamment d’énergie. J’ai perdu 10 kilos assez rapidement, sans rien reprendre pendant le film. D’ailleurs Jérôme a opéré une surveillance permanente de mon assiette parce qu’il trouvait que j’étais trop costaud ! Je fais régulièrement de la musculation et mon corps devait être comme celui d’un plongeur : plus mince que musclé" ajoute l'acteur.
Audrey Tautou incarne Simone Cousteau, femme du commandant et personnage central dans les aventures de ce dernier : "Je me suis rendue compte en préparant le film que même certains vrais amoureux de Cousteau ignoraient quasiment tout de cette femme qui a pourtant été le vrai capitaine de la Calypso, pendant 40 ans ou presque. Simone Cousteau était extrêmement avare de ses apparitions médiatiques : elle ne voulait pas être filmée. En revanche, il existe pas mal de photographies dont je me suis servie ainsi que d’un livre, une biographie très complète qui a été une mine d’informations. J’ai aussi pu compter sur les témoignages de deux compagnons de la Calypso, deux hommes qui ont travaillé avec le couple Cousteau tout au long des années : François Sarano, plongeur et docteur en océanographie et Roberto Rinaldi, cameraman sous-marin. Deux personnes formidables qui nous ont raconté des anecdotes incroyables. En les écoutant, on sent l’attachement qu’ils pouvaient avoir pour Simone et à quel point cette femme a compté pour l’équipage", raconte la comédienne.
La Calypso, le célèbre bateau du commandant Cousteau, constitue un personnage à part entière du film, bien qu'il soit très difficile de tourner sur ce genre d'engins comme l'explique Jérôme Salle : "Tourner sur un bateau est un enfer ! Un cauchemar du début à la fin. Tout est compliqué. Les anglais disent une chose très jolie, (et moi qui en ai eu un, même petit, je peux confirmer) : il y a deux bonnes journées quand on possède un bateau, celle où on l’achète et celle où on le vend !"
Jérôme Salle a dû utiliser des effets spéciaux numériques pour réaliser des plans de la Calypso en Antarctique. En effet, il est interdit de naviguer dans cette zone avec des bateaux en bois, ils ne résisteraient pas à la pression des glaces : "Je précise d’ailleurs, et c’est assez triste, que nous avons dû faire la même chose pour rajouter des poissons durant les scènes tournées en Méditerranée parce que ces espèces ont disparu ou se sont trop raréfiés depuis 70 ans", déplore le metteur en scène.
Jérôme Salle a confié la musique de son film au très à la mode Alexandre Desplat, oscarisé pour The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson : "Je pense, (et je le lui ai dit), que c’est le plus beau thème qu’il m’ait donné. Quand un compositeur vous offre ce genre de musique, c’est un cadeau... Alexandre s’est mis au piano, regardant les images du film, il a trouvé ces notes devant moi. C’était très émouvant. Il a compris ce que je cherchais dans l’humeur comme dans l’émotion. À la fin de l’enregistrement en studio, je lui ai piqué la partition et je l’ai donnée à mes enfants, qui jouent eux aussi du piano, afin qu’ils l’apprennent ! Je dois dire qu’ils ne sont pas encore très au point", s'amuse le cinéaste.
Lambert Wilson et Pierre Niney ont dû suivre une formation très poussée en plongée dans le cadre de la préparation du film. Wilson nous livre d'ailleurs une anecdote au sujet d'une leçon dans une eau pour le moins "cradingue" : "La plongée implique une visite médicale extrêmement poussée avec radio des poumons, encéphalogramme, électrocardiogramme, examen des yeux et des oreilles, etc… Il y a enfin une épreuve de plongée de 4 jours, qui est par exemple réservée aux futurs employés des plateformes pétrolières. Ça, c’est un diplôme dont je suis très fier… Le souci, c’est que notre première leçon avec Pierre Niney s’est déroulée dans le port industriel de Marseille dans une eau d’une épouvantable saleté ! Nous ne pouvions pas voir notre professeur à un mètre, pataugeant dans la boue, la vase et l’huile… Il fallait en plus faire des exercices où nous devions retirer nos masques sous l’eau. J’ai immédiatement attrapé une infection à l’oeil. Atroce ! Heureusement, les jours suivants, nous sommes partis dans les îles alentours et là nous avons commencé à prendre un peu de plaisir."
Pour Jérôme Salle et Lambert Wilson, il n'était absolument pas question de livrer une hagiographie du commandant Cousteau mais de ne pas hésiter à explorer ses zones d'ombre : "Dans la sphère privée, (mais qui sommes-nous pour nous poser en censeurs moraux ?), il a eu une vie d’homme séducteur, qui c’est vrai a connu beaucoup de femmes au cours de ses voyages. Là où je lui trouve moins d’excuses, c’est avec ses enfants… J’ai retrouvé dans son histoire quelque chose que j’ai connu avec mon père. Ce sont des hommes qui étaient capables de vous faire partager l’excitation et la valeur de leur travail tout en vous délaissant en n’étant quasiment jamais avec vous et surtout en ne supportant pas que vous entriez sur leur territoire en devenant des rivaux... Cousteau vit une sorte d’amour filial passionnel avec Philippe mais qui s’exprime dans une très grande dureté", explique Wilson.
Pierre Niney et Lambert Wilson tournaient tranquillement une scène de dialogue dans l'océan quand tout à coup... : "Je me rappellerai toujours de cette scène que nous tournions au milieu de l'océan en Afrique du Sud. Quelques dialogues avec Lambert à la surface de l'eau, quand soudain, au milieu de la scène, une immense baleine à bosse sort de l'eau à quelque mètres de nous. Stupeur et fascination générale ! Je n'en croyais pas mes yeux. Elle tournait autour de nous et soudain une seconde fait son apparition, nous encerclant toutes deux ainsi pendant une bonne demi-heure. Si bien que nous finissons par reprendre la scène... entourés de baleines à bosse au milieu de l'océan", relate Niney.