Suite à l'abysse de jouvence qu'était le quatrième opus signé Rob Marshall, aventure indigente d'un ennui total, Ronning & Sandberg reprennent la barre du navire en dérive avec Dead Men Tell No Tales, cinquième épisode qui certes ne peine pas à faire mieux que son prédécesseur, mais rame toujours pour effacer la question suivante : n'a-t-on pas fait le tour de la licence Pirates des Caraïbes ?
La trilogie originale de Verbinski, l'un des cinéastes américains les plus inventifs de ces quinze dernières années, était une ode au grand spectacle débridé et burlesque qui n'hésitait pas à torturer le récit et les personnages. Dead Men Tell No Tales a l'ambition de revenir à ces premières heures, mais n'y parvient qu'en de rares occasions. Mais cette cinquième aventure à le mérite de sembler bien moins opportuniste : c'est un spectacle rudimentaire et efficace, un brin loufoque, qui nous fait passer un agréable moment et pourrait plaire aux fans du premier opus.
Ce qui n'empêche pas l'impression d'assister aux prémices d'une parodie, ligne facilement franchissable lorsque l'on cherche, comme dans cet opus, à bâtir une "post-sequel" tel Jurassic World ou The Force Awakens, une suite qui cherche à faire une nouvelle soupe dans les vieux pots, à forger sa nouvelle mythologie en citant directement l'ancienne. Le retour de figures connues et le développement (un peu forcé) de leur fable de l'ombre se révèle toutefois louables et donnera des frissons voire quelques larmes aux adulateurs.
Mais on ne peut que penser au pastiche lorsque, par exemple, nous assistons à l'entrée des deux jeunes nouveaux protagonistes, Carina et Henry, qui en tous points ramènent à Elizabeth Swan et Will Turner de la première trilogie : la jeune femme qui cherche l'émancipation, et le jeune sexy-boy qui se moque aveuglément du danger pour parvenir à ses fins et sauver la demoiselle en détresse, le tout sur fond de romance naissante... Le déjà-vu est inévitable, d'autant plus que les deux acteurs ne dégagent absolument rien à l'écran et font ainsi peiner les personnages à se dessiner.
Dans la même veine, c'est aussi le personnage de Jack Sparrow qui perd l'équilibre au bord de ce précipice. Il n'y a qu'à voir sa première scène dans le film, braquage sauce Tex Avery qui doit tout au casse de Rio dans Fast & Furious 5. Le moment est certes drôle et spectaculaire, mais il sonne comme un numéro de cirque que l'on a déjà vu mille fois, avec les mêmes cabrioles, le même thème musical. Nous sommes beau ici plongés dans le passé de ce personnage aujourd'hui iconique, il tourne toujours autant à vide qu'il y a six ans... Paradoxalement, c'est quand même cette verve cartoonesque retrouvée, ce sens du ridicule calculé, qui nous fait un peu retrouver l'essence de la série et livre quelques moments efficaces comme la scène de la guillotine.
C'est surtout en terme de scénario que Dead Men Tell No Tales ne convainc jamais. Dans la continuité de cet aperçu de pastiche cité plus tôt, on a ici l'énième aventure où plusieurs groupes de personnages se pourchassent et finissent par se confronter au cœur d'un climax où ils cherchent à récupérer l'objet de leur quête. Du vu et revu où certes mené à tambour battant, sans temps mort, donc rien de foncièrement déroutant dans un tel blockbuster, certes, mais c'est sans compter la risibilité des dialogues qui ne s'épargne pas quelques allusions sexuelles appuyées, aussi lourdes que certaines digressions humoristiques complètement à côté de la plaque - la scène du mariage, pour exemple : mais que vient-elle faire ici ? Quelle est son utilité dans le récit hormis la tentative douteuse de faire sourire ?
Et la plus grosse frustration du film restera l'antagoniste principal, le capitaine Salazar, pourtant tellement prometteur. Directement issu du passé de Jack Sparrow, physiquement aussi effrayant que spectaculaire, il n'est finalement qu'une coquille vide qui ne crie qu'à la vengeance bête et méchante, une simple pièce de puzzle du récit relégué au troisième plan... Il est curieux de voir l'écurie Disney, notamment avec l'univers partagé Marvel, céder aussi sombrement aux facilités d'antagonistes de façade, ce qui peut littéralement noyer un film. Ici cette facilité est des plus évidente en sachant que le personnage était à la base féminin, puis sous la pression réécrit pour Christopher Watz avant d'être de nouveau réécrit pour Javier Bardem, deux gueules qui ne sont que les méchants les plus vus au cinéma.
Dead Men Tell No Tales a beau ne pas raconter grand chose de nouveau et invoquer les racines de la licence sans grand naturel, il ne tombe pas pour autant à l'eau et livre un spectacle simple et efficace à la direction artistique des plus propres. Le dépaysement n'est pas total mais l'aventure répond présente, bien que le navire vogue un peu en pilotage automatique sans sa propre mythologie, une fade épopée à la belle promesse.