Pour un premier film, « Augustine » possède une force peu commune. A la fois au scénario et à la mise en scène, Alice Winocour fait preuve d’une rigueur d’écriture et d’une justesse de regard absolument saisissantes. Le film retrace le séjour à la Salpêtrière d’Augustine, la plus célèbre des patientes du professeur Charcot, qui va préciser avec elle sa théorie sur l’hystérie (elle-même servira à Freud dans sa réflexion). Il se focalise sur l’ambiguïté des rapports entre le médecin superstar et la patiente inconnue, se retrouvant tous deux pris dans le mécanisme du transfert, mais révélant aussi tout le refoulé d’une société où la femme vivait dans l’oppression masculine. Révélateur du geste de la cinéaste est sa manière d’éviter l’écueil de l’académisme dans la reconstitution historique : sans doute « aidée » en cela par un budget modeste, elle se concentre sur deux lieux – l’hôpital et la maison de Charcot – transformant sa chronique intimiste en un saisissant huis clos, presque un thriller psychologique. Cette manière d’opérer un léger glissement vers le film de genre marque la première originalité du film. Dès le début, avec cet orage, cette pénombre inquiétante des décors et cette crise d’hystérie qui ressemble à une possession démoniaque, on est plus proche de « l’Exorciste » que de « Marie-Antoinette ». Le film va ainsi jouer de manière très subtile la note du fantastique, sans jamais que cette tonalité ne devienne sur-signifiante et ne perturbe la tenue du récit. C’est d’avantage comme un inconscient cinématographique qui vient irriguer « Augustine », donnant encore plus de prégnance à la force de son récit et à la puissance des ses images.
La jeune cinéaste fait ainsi preuve d’une belle vigueur dans le geste cinématographique, comme on peut le constater dans la brillante scène d’ouverture, ce diner mondain qu’Augustine va faire dérailler. Winocour évite tous les passages attendus en se focalisant sur Augustine tandis que les invités restent dans le flou : brillante idée que d’inverser arrière plan et avant plan, puisque c’est précisément le dispositif de tous le film – aussi bien comme révélateur du discours sur l’inconscient, mais aussi comme métaphore de la place d’Augustine dans son parcours dominé par les hommes auquel elle va finalement s’échapper, et enfin comme métaphore de l’évolution de la condition féminine au 20ème siècle. Quant à la crise d’hystérie qui vient faire exploser la belle ordonnance de ce monde bourgeois et phallocrate, il révèle à la fois le point de rupture d’une nature féminine réduite à l’objet de servante et d’objet de désir (le regard lourd de sens d’un des convives sur la jeune servante), mais aussi cette façon de faire exploser le vernis social (et mental) qui va marquer la trajectoire d’Augustine à la Salpêtrière. On voit bien l’intelligence du regard et la puissance du geste dont fait preuve Alice Winocour, qui va tenir cette ligne tout au long du film.
Certes, « Augustine » n’est pas exempt de quelques scories, en particulier une difficulté à passer dans l’intimité de Charcot. Car autant la prestation très hiératique de Vincent Lindon est chargée d’une autorité naturelle à la belle ambigüité (elle ne demande en fait qu’à se fissurer), autant l’évolution de son rapport avec Augustine est subtil et troublant (y compris dans son empêchement), autant les rares moments où l’on bascule de son côté, dans l’intimité de son foyer, deviennent plus scolaires et attendus (les dîners de famille coincés, la froideur de sa femme, etc). L’erreur est d’avoir voulu pénétrer dans son regard, alors que c’est dans son rapport à Augustine qu’il se révèle. On perd alors le personnage qui nous apparaît d’un coup stéréotypé et faussement opaque. Mais cette petite maladresse n’enlève rien à la qualité du film, puisque la majorité du récit se déroule dans le huis-clos de la Salpêtrière où l’affrontement Charcot-Augustine nourrit les personnages d’une ambivalence et d’un trouble grandissant.
La grande force du film est d’avoir réussit à faire acte politique sans être jamais démonstratif (l’inverse absolu de l’indigeste « Vénus noire »). Augustine se fait ainsi subtilement la caisse de résonnance des rapport de classe et de domination masculine de cette France du début du siècle et le combat d’Augustine, à la fois pour obtenir ce qu’elle veut – l’objet de son désir que devient Charcot dans une belle inversion du rapport de force -, mais aussi pour se libérer de cette société aliénante. Augustine devient ainsi une métaphore du combat des femmes, à la fois pour être reconnues comme sujet désirant et aussi pour la conquête de leur liberté et de leur égalité.