Que Another Happy Day ait remporté le prix du scénario à Sundance n’a rien d’étonnant, tant le film est fondu dans le moule du cinéma indépendant américain. Mélange d’humour et de drame. Personnages finement mais clairement définis, à la fois banals et en marge de la société. Portrait d’une famille au bord de la rupture. Bref tout pouvait laisser présager un film sympa mais qui se classerait dans la colonne « déjà vu ».
Est-ce que Another Happy Day renouvelle le genre ? Surement pas, mais il peut s’enorgueillir d’être un de ses meilleurs représentants, et ce en grande partie grâce au talent de son jeune auteur et réalisateur, Sam (fils de) Levinson. Sous sa plume, déjà d’une grande justesse, incisive et douce à la fois, l’expression « on ne choisit pas sa famille » semble être réinventée. S’il dresse les portraits de personnages poussés à l’extrême, leurs liens et l’ambiance de la fratrie ont eux des accents d’universalité, par leur mélange d’amour et de haine. C’est un peu le sentiment du spectateur à leur égard aussi, qui ne sait finalement jamais vraiment pour qui prendre parti, chaque membre ayant ses qualités et ses défauts, ses raisons et ses torts. Si chaque personnage est finement dessiné, à la fois caricatural mais suffisamment nuancé pour éviter ce qualificatif, Sam Levinson a la bonne idée pour éviter le capharnaüm du film choral, de sélectionner quelques personnages principaux qui serviront de fils conducteurs à l’intrigue et au (petit) message du film (les névrosés ne sont pas forcément ceux qu’on croit). Mais là où la plume du jeune auteur est la plus forte c’est dans sa façon d’appréhender l’humour et l’émotion. Ainsi suivant le degré auquel chacun prendra les choses, on pourra se surprendre à être complètement bouleversé par une scène qui fera rire son voisin, Levinson ayant une tendance à repousser chaque situation à ses limites.
Mais loin d’être un simple auteur, le jeune Levinson s’avère aussi un réalisateur très prometteur. La photographie est simple mais belle, le rythme est parfaitement géré et la direction d’acteurs est tout simplement impeccable. Il faut dire qu’il s’est entouré d’un casting de premier choix. On redécouvre ainsi Ellen Barkin, bouleversante en mère paumée, blessée par les épreuves de la vie et par une famille qui n’est plus vraiment la sienne. On redécouvre aussi Demi Moore, surprenante en belle mère trop lisse et trop parfaite pour être vraie. Si les deux femmes se livrent une guerre sans fin dans le film, en tant qu’actrice elles n’ont rien à envier l’une à l’autre, et emportent toutes deux notre adhésion. On notera également la glaçante prestation d’Ellen Burstyn, détestable à souhait en mère indigne, et la douce et touchante Kate Bosworth en fille fragile. Et puis il y a Ezra Miller, à découvrir d’urgence pour ceux qui auraient loupé We need to talk about Kevin. Son regard est une nouvelle fois des plus troublants dans ce rôle d’ado un poil dérangé (ou finalement le plus lucide ?). Il campe le personnage le plus fascinant du film, car le plus difficile à cerner, entre son impression de se foutre de tout et son addiction à se foutre en l’air. Principal vecteur comique du film, mais aussi catalyseur d’émotions, il est le symbole d’une nouvelle génération, au regard intransigeant et acerbe sur ses ainés.
Drôle, incisif, troublant, touchant, bouleversant, Another Happy Day porte haut les couleurs du label Sundance.
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