Les films où le mariage fait exploser des familles disfonctionneles sont devenus un genre du cinéma.
il ne faut pas attendre ici l'uppercut radical de "Festen".
Cette comédie a pourtant des accents bien noirs. Presque tous les personnages sont des handicapés de l'amour. Lynn (très intéressante Ellen Barkin, toujours sur le fil du rasoir du sur-jeu, hystérique épatante et drôle malgré-elle) est dans un besoin maladif de reconnaissance. Elle se sent comme le vilain petit canard de la famille. Tous ses enfants (hormis le futur marié) sont atteints de troubles mentaux graves. Sa fille Alice (Kate Bosworth déchirante), qui est attendue avec une curiosité malsaine, tente d'exorciser son mal de vivre
en se scarifiant les bras et le ventre
. Lorque Lynn veut ajouter des manches à la robe d'Alice
pour ne pas exhiber les cicatrices,
elle ne trouve que sarcasme :
"Pourquoi veux-tu faire de sa robe un pansement?"
- Le frère Elliot (Ezra Miller, comme toujours admirable - On a hâte de le voir grandir et sortir de son emploi de jeune marginal lucide et rebelle dans lequel il excelle) se défend avec un cynisme corsé qui nous vaut de grands moments d'humour noir. Atteint du Syndrome de Gilles de La Tourette, il trouve refuge dans la drogue et
détourne (quand il n'a rien à se mettre dans le corps) les médicaments familiaux pour planer
.
Les scènes où il se drogue à même le carrelage, celle où il est surpris quasiment nu dans la salle de bain par sa tante en train d'essayer de cacher les traces de son masque de toxico avec le maquillage de sa mère, celles où il erre comme une âme en perdition dans la nuit sont magnifiques
. Dans cette famille, frapper à une porte avant d'entrer pour ne pas violer l'intimité n'est pas un réflexe. La tante et la grand-mère surprendront ainsi Elliot et Alice dans la plus grande nudité du corps souffrant. La grand-mère (Ellen Burstyn, toujours aussi impeccable et royale) a bien du mal à gérer l'incommunicabilité et les griefs de sa progéniture. La seule personne qu'elle semble avoir profondément aimé est son mari. La scène où Lynn la "coince"
un soir d'insomnie dans la cuisine
est d'une intensité bouleversante. Les soeurs sont d'une vulgarité redoutable, monstres d'égoïsme et reines de la gaffe, nous gratifient de beaux moments de rire jaune. Demi Moore est réjouissante en garce de belle-mère intrusive
(hallucinantes scènes où elle humilie Lynn dans les toilettes du restaurant et où elle la force à faire un speech au mariage du fils qu'elle n'a pas élevé)
. Thomas Haden Church, en père défaillant, est à claquer
(terrible scène où il ne comprend pas la demande de sa fille de lui parler en tête à tête et où il veut lui imposer "sa femme")
. Le grand-père à la santé vacillante (George Kennedy) d'une grande justesse pince sans-rire, est très touchant
(incroyable scène où ses deux petits-fils croient avoir fixé sur leur vidéo sa mort en direct).
Chacun peut se reconnaitre dans ce psychodrame.
Le fond de l'air est chargé, plein de rancunes et de douleur incommensurables.
On pourrait reprocher au scénario de se complaire dans la lourdeur d'un catalogue de troubles relationnels.
Mais, les dialogues sont percutants: vers le milieu du film, étonné par cette propension au mélodrame, Elliot confiera à sa grand-mère sidérée qu'il est arrivé à la conclusion que..
... "la mort est un lien plus fort dans une famille que l'amour".
L'excellente distribution est dirigée avec une grande vérité, accompagnée d'une bande son intelligente et discrète de Olafur Arnalds.
Le rire arrive sans prévenir, comme un réflexe défensif face à tant de souffrance et de manque d'amour, ce manque de tendre.
Alice (la bien nommée) fait des études sur la psychologie des enfants. Elle conclue le film
au volant de la voiture familiale vers un avenir incertain, peut-être plus apaisé. A ses côtés, vitre baissée, Elliott nous fixe longuement avec un regard énigmatique, prêt à affronter de nouveaux tourments. Le lyrisme en moins, on pense alors à Claire quittant sa famille névrosée, prenant la route de la vie dans le final génial de la série "Six Feet Under".