Preuve du bon goût du volet Cinéma étranger des Oscars, c'est ce deuxième candidat au sésame qui se révèle la deuxième vraie bonne surprise de ce festival. Bullhead, pour un premier film, vise tout de suite haut, assez haut, et cette ambition est d'office louable. Les bonnes idées abondent, et quoiqu'orthodoxe, la mise en scène laisse peu de place à l'imperfection; tout y semble maîtrisé, du jeu de lumière ambiancé au rythme ciselé du montage.
Transposant les enjeux classiques du film de gangster dans sa Flandre natale, Roskam prouve que, même à l'heure de la mondialisation, une même activité peut avoir une indénombrable quantité d'application régionales. Ici, la seule truanderie organisée qu'on connaisse est celle du trafic d'hormones visant à rendre le bétail plus juteux, et plus rentables. Jacky est fils de fermier, et une petite frappe testostéronée au passé mystérieux. Quand un deal avec des trafiquants d'hormone se monte, il sent que quelque chose cloche. Grâce à une écriture méticuleuse, Roskam parvient à rendre intelligible et, surtout, crédible sa machinerie scénaristique. Les différentes sous-intrigues s'imbriquent de manière implacable -ce qui peut d'ailleurs accentuer le côté prévisible, parfois- et sans impression d'invraisemblance aucune. Malgré la multiplication des personnages et des enjeux, du héros à son ami d'enfance, de l'enquête policière à base d'écoutes téléphoniques et de rendez-vous avec indic -sous fond de film porno pour faire croire à une rencontre entre amants, délicieuse idée- à la petite cuisine des mafieux du terroir, on ne perd rien en clarté de lecture. Les film est, en outre, servi par une mise en scène classique mais imparable et une photographie nickel chrome qui accentue sans effet tape-à-l'œil la noirceur de l'ensemble.
D'une maturité impressionnante, pour un premier essai, donc. Mais pas seulement dans la forme. Car dans le fond, grâce à deux trouvailles judicieuses, Bullhead parvient à dégager des thématiques ambigus et complexes qui brassent plusieurs influences. Comme on l'a dit, en glissant le terrain vers la Flandres rurale, Roskam parvient à lui donner une crédibilité tangible: des détails quant à l'élevage du bétail aux rapports délétères entre wallons et flamands -un poil grossis par les jubilatoires garagistes de Liège, crétins fini tout droit sortis des films de Coen ou de Jarmusch, tout y passe. On est plongé dans ce film qu'on sent à la fois documenté et pétri d'influences auto-biographiques. Mais la véritable grande idée du film se tient dans la castration cruelle et sanglante du héros qui lui donne une identité forte tant sa frustration transpire au delà même de la moiteur de la salle de bain où on le voit en permanence se gaver d'hormones animales, faisant de lui le bœuf tout en musculature que son émasculation a forcé. Les troubles quant à son identité – sexuelle, existentielle, humaine- évoquent les enjeux troubles de Cronenberg et donnent au film cette substance ambigu qui manque à bien d'autres. Que ses doutes soient prétexte à des gags normatifs -la savoureuse première entrée dans la parfumerie, par exemple- ou à un questionnement plus profond -notamment la troublante scène finale qui va jusqu'à remettre en cause la nature humaine de ce héros bête de somme, sommé de tout repousser de la vigoureuse force de son crâne, ils donnent à l'ensemble du film un ton ébène, poli.
Maintenant en tous moments l'équilibre entre le fond et la forme, entre le questionnement le plus essentiel et les dérives absurdes et grinçantes, Bullhead est probablement le film le plus abouti de la compétition officielle. Ce qui est d'autant plus épatant qu'il s'agit d'un premier film après deux courts-métrage, de son réalisateur. Un peu moins quand on repense à l'excellence du cinéma belge et plus particulièrement flamand ces dernières années, peut être le seul à savoir aussi bien combiner une approche documentariste sensible et un sens de la dérision qui évite les lourdeurs, comme La Merditude des Choses.