Après quelques courts-métrages à la qualité variée, Michael R. Roskam passe à la vitesse supérieure avec son poids lourd de sens et de forme ; Bullhead (Rundskop), au titre déjà rugueux, toutes langues confondues. Le réalisateur donne une vraie leçon de mise en scène. Une percussion frontale dans un cinéma flamand qu’on pensait au ralenti depuis la pause effectuée par Fabrice du Welz. Comme un électrochoc visuel, Bullhead assène en une seule frappe l’émergence d’un cinéaste et la mise en « lumière » du talent de Matthias Schoenaerts. Plus qu’une claque, un crash test !
Après une entrée en matière presque onirique, Roskam installe immédiatement une ambiance marquée. On comprend très vite que le réalisateur désire et va réussir à laisser une marque, tracée au fer rouge, dans le paysage cinématographique. Rien de bien nouveau dans l’intention mais la manière inspire le respect. Nous sommes face à un metteur en scène qui maîtrise son objet pour donner du sens, sens de la métaphore et de la narration.
Il réussit en très peu de temps à rendre comme inconnu et presque énigmatique ce monde agricole qu’on pensait tutoyer d’images et de clichés. Sous une résonance mafieuse, un climat est installé et donne au spectateur une sensation de vertige dans l’inconnu ; on ne comprend pas tout de suite, qui est qui et qui fait quoi, pour vite se rendre compte que c’est une volonté de Roskam. Volonté qui donnera des accents immersifs au film. Dans un même temps on veut en savoir plus et se laisser porter par cet opéra visuel.
Sous l’égide du genre policier, le film se dirige avec l’ambivalence de force et de douceur vers une note dramatique très puissante ; entre certaines envolées de Michel Audiard ou bien du récent Animal Kingdom de David Michôd. Nous sommes bien sûr loin de toutes copies ou identifications mais proche d’un cinéma viscéral, indirect de lecture et foudroyant de sensations avant tout.
Là est sans doute la force principale de Roskam, mêler simplicité du propos dans une mise en scène visuelle poussée, non par effets de style, mais par le ton métronomique du montage et un sens du cadre parfait ; on sent un intérêt appuyé pour donner du sens à tous ses plans, à ce titre la scénographie des comédiens est parfaite. S’ajoute le délicat exercice du flashback, amené ici avec délicatesse et toujours justifié. Tout juste s’appuie t’il un peu trop sur les ralentis.
Pièce parfaite du film, la dernière séquence, métaphore même d’une bête qui n’est plus maître de son devenir. Même si évident, brillant !
Cet ensemble apporte un vrai sens à la réalisation, de moins en moins mise en valeur à ce degré dans le cinéma moderne nous rappelant la mise en scène d’un cinéma US des années 70.
Le tout n’aurait qu’un sens minime si le casting, Matthias Schoenaerts en tête de convoi (et même plus), n’était pas là de présence et de jeu pour rendre le film majestueux.
Inconnu (ou presque) Matthias Schoenaerts va marquer les années à venir, longtemps, on ne peut l’affirmer, mais un impact lourd sera donné en 2012 ; on le retrouvera en effet dans « De rouille et d’os » (prochain Audiard), harsard !? pas si sûr !
Dès les premières secondes du film il imprègne l’écran de sa présence, corpulence et charisme au diapason. Apparaissant comme par surprise, bien qu’amené en douceur (parfaite mise en scène à l’appui), Roskam décide de faire de son personnage la pièce centrale de son œuvre. Fort de jeu, immense et bestial de corps, la première séquence dont il occupe l’espace est un travail précis de réalisation. En quelques minutes, une séquence suffit à montrer l’essentiel et donner le ton d’une oeuvre Shakespearienne. Tel un héro/ héraut, Jacky (Matthias Schoenaerts) parsème le film de son aura, chapitrant ainsi cette tragédie familiale et personnelle. Les rôles télescopés autour de lui sont d’une saveur semblable ; du ridicule, les deux garagistes nous rappellent le jeu des comédies flamandes proche de la parodie, pourtant rien ne fait tâche ici, tout est acté. De l’émouvant, le cercle familial du héros, des « seconds couteaux » et « tronches », viennent envahir et s’imprégner de chaque personnage. La douceur contre cette rutilance mâle sera incarnée par Jeanne Dandoy, magnifique dans sa façon si personnelle de donner deux visages au personnage de Lucia, entre douce innocence et ingénue candide.
La somme parfaite qui donne à Bullhead ce mouvement imperceptible des films à la force visuelle et sous-jacente qui ne vous lâche que de longues heures après.
En passant au long métrage Michael R.Roskam par l’essence même de sa mise en scène, son propos, son intelligence du récit prouvent que Bullhead n’est pas le film parfait, heureusement, mais un coup de maître qui nous rappelle encore ce que cinéma et sensations veulent dire.
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