Paris. Los Angeles. Tijuana. Martin parcourt ses trois villes au cours de cette histoire, et chacune d'entre elles devient le reflet de sa personne, ou l'inverse. D'abord Paris, quand il apprend le décès de sa mère, exilée depuis des années aux États-Unis, qu'il ne connaît plus. C'est un Paris poussiéreux, maussade, Martin étant devenu le héros d'un quotidien amorphe, partagé entre ses problèmes de couple – incapable de s'investir dans sa relation – et sa mélancolie qui le ronge jour après jour. La mort de sa mère ne semble d'ailleurs pas être un poids majeur, ni une perte importante, il ne voit en elle qu'une femme qui l'a abandonné il y a bien trop longtemps pour ressentir encore quelque chose pour elle : c'est une étape comme une autre de sa vie d'automate.
Vient alors la période Los Angeles, puisqu'il est obligé de retourner là-bas pour régler des histoires d'appartements, de morgues, de légations, tout ça dans une apathie profonde. Il se fait bousculer par Linda, une des meilleures amies de sa mère sur place, qui devient vite un moulin à paroles exaspérant. Sous cette tournure inattendue Martin finit par craquer, rattrapé par la nostalgie et les souvenirs d'une enfance perdue retranscrits par des interludes plutôt réussis. Lui qui pensait tirer un trait sur toute cette histoire et retrouver rapidement la morosité de son Paris va connaître un désir de creuser là où ça fait mal, de rouvrir le chapitre sur sa mère. C'est en découvrant qu'elle a léguée son appartement à une vieille amie, Lola, qu'elle considérait comme sa propre fille, que tout va se bousculer dans l'esprit à présent torturé de Martin.
Sur un coup de folie, un excès de colère, il va se retrouver sur les routes du sud, débarquant à Tijuana au Mexique, complètement paumé dans la mustang volée à Linda. Titubant dans les tréfonds de cette ville qui ne vit que de nuit il va essayer de retrouver Lola, et donc, par cet intermédiaire, de retrouver la vérité, en quête du passé. Et si la première partie est agréable à suivre et nous met dans les conditions de son héros, attisant tout de suite la sympathie du spectateur, c'est à partir de cette arrivée à Tijuana que le rythme du film s'envole. Une Salma Hayek au top devient la cerise sur le gâteau, et un film qui était jusqu'ici plutôt posé et lent va se trouver un renouveau, un vent d'air frais, un dynamisme maîtrisé, tant dans la réalisation que dans la bande-son, donnant un souffle appréciable à l'histoire. La comédie dramatique se transforme presque en thriller, notre personnage étant toujours plus déconnecté de la réalité. C'est un bonheur que de le voir évoluer dans cette ville mexicaine, avec ses personnages aussi attachants, drôles et touchants les uns que les autres.
C'est donc une réussite que cette réalisation de Mathieu Demy, qui ne cesse de nous surprendre par la justesse de son récit. Si je reconnais que les acteurs ne sont pas toujours crédibles, on n'y fait pas attention tant ce que raconte l'histoire est humain et poétique, accompagnée d'une mise en scène pleine d'inventivité. Il y a un vrai souffle nostalgique qui plane sur le film et qui donne une réelle profondeur aux personnages. La famille est au cœur du discours avec ceux qui essaient de se construire, ceux qui essaient de se reconstruire, et ceux qui veulent juste comprendre. Plus qu'un aller-retour passif le voyage de Martin devient une véritable quête initiatique qui lui permet d'affronter son passé pour mieux préparer son avenir. On ne tombe jamais dans le cliché ou dans la facilité, il y a toujours cette incroyable justesse qui donne au film l'impression d'être autant une leçon de vie qu'une leçon de cinéma ; et les deux sont essentielles.