Magnifique film. Ce sont les trois jours -clé de juillet 1789, vus à Versailles à partir du quartier des domestiques. De la table de cuisine où se retrouvent, pour le petit déjeuner ou le dîner, femmes de chambre, valets et gardes. Des arrière couloirs délabrés et crasseux où l'on se rencontre pour aller aux informations, où la domesticité croise ces aristocrates qui vivent dans des appartements miteux, incrustés dans le Chateau comme des bulôts -pour le seul bonheur d'être près du Roi, et de le voir, de temps en temps! Ce Versailles vu des coulisses, c'est formidable. Il y a une vie extraordinaire dans cette peinture -on nous montre rarement cet espèce de mixage social dans un chateau surpeuplé-, et on pense forcément à Que la fête commence, Benoit Jacquot met le même soin que Tavernier à la reconstitution historique qui fait que l'on s'y croit, aux vêtements, aux lumières; et il y pose ce même oeil -faussement- détaché.
Sidonie, l'exquise Lea Seydoux avec son visage encore enfantin est la lectrice d'une reine qui, à vrai dire, ne prise guère la lecture (à part Marivaux, peut être) parce qu'elle préfère feuilleter ses catalogues de mode. Diane Kruger représente à merveille Marie Antoinette; qu'elle lui ressemble n'est peut être pas exact, mais elle a le même morphotype, visage étroit aux traits fins, gracieux, aimable, et en même temps sec, fermé. Egoïste, capricieuse, exigeante -le réalisateur ne l'a pas gâtée.... Le postulat du film, c'est qu'elle éprouvait une grande, une irrésistible passion pour Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen) un de ses mauvais génies -probablement pas concrétisée, d'ailleurs. Sur les tendances saphiques de la Reine, les historiens ne s'accordent pas. Moi, je l'imagine plutôt complètement frigide, écrasée par une mère trop intelligente et trop forte, puis livrée trop jeune aux assauts infructueux d'un mari tout aussi jeune, et de plus peu aidé par la nature. Il y a de quoi vous couper toute libido, non?
16 juillet, les nouvelles en provenance de Paris, même parcellaires, sont alarmantes, la Reine prépare une fuite à Metz en faisant dessertir ses bijoux, les premiers carosses démarrent en catastrophe, petites bonnes et aristocrates s'en vont dépendre l'épouse d'un des bûlots qui s'est suicidée.... chacun s'agite, on va d'une grille à l'autre, pour voir passer le Roi et ses frères, supputer ce qui se passe....
Sidonie aime passionnément la reine. Orpheline, sans amoureux, elle a reporté tous ses sentiments sur cette femme -déesse, pour laquelle elle est prête à tout. Industrieuse, on la suit courant, on la suit trottant, souvent de dos, dans les cours et les couloirs. Quelquefois, elle s'étale, d'ailleurs.... Cette reine qui va lui demander, égoïstement, comme toujours, un énorme sacrifice pour sauver sa chère Gabrielle, que le peuple déteste entre tous. Elle s'en va, sans savoir qu'elle ne la reverra plus.
Toute la distribution est magnifique, de Noemie Lvovsky, Madame Campan, à l'archiviste Moreau Michel Robin, en passant par les petites femmes de chambre, Julie-Marie Parmentier, Lolita Chammah. Xavier Beauvois est un Louis XVI plutôt terne, mais au physique vraiment pas très Bourbon....
Benoit Jacquot a fait récemment pour l'Opéra de Paris une mise en scène de Werther simple, lisible, belle, à contre courant des délires du Regietheater; il vient maintenant de réaliser un beau, beau, grand film français.