Comme toujours chez Benoit Jacquot, l'exploration d'un siècle perdu tiens plus à la recherche d'une substance visuelle et cérébrale qu'à la consistance d'une dramaturgie fondée sur l'expression des sentiments humains. Pourtant l'un, par définition, traite de l'autre. Tout comme son travail de metteur en scène d'opéra ; trouver une matière esthétique et rythmique à un récit déjà créé et porté par la musicalité - voir son "Werther" joué à Bastille en 2010. Dans "Les Adieux à la reine", adapté de l'écrivain Chantal Thomas, son ambition semble être tout simplement de transposer cette démarche à un décor nouveau, déployé, celui de la Cour de Versailles, à partir d'un matériau romanesque déjà développé dans le livre, ou la relation mystérieuse de fascination et de haine d'une jeune lectrice dévouée pour sa Reine. Comme tout cinéaste un minimum talentueux, Benoit Jacquot ne rate pas LE plan du film ; un baiser saphique échangée entre la Reine et la servante endossant subitement le rôle de Gabrielle de Polignac, la figure féminine causant le trouble sexuel et identitaire de Marie-Antoinette alors même que le pouvoir s'effondre après la prise de la Bastille. Tandis que Sidonie, la jeune servante et fidèle lectrice de la Reine, vit à genoux face à l'icône qu'elle sert, le film développe une manipulation des apparences ; Sidonie, jeune et naïve, se croit préférée des autres aux yeux de Marie-Antoinette. Mais cette dernière, cruauté ultime du pouvoir et de l'amour, va se servir peu à peu de Sidonie pour sauver la vie de Gabrielle, la femme qu'elle aime en secret. De ce triangle amoureux entre femmes, gardé sous silence pendant tout le film, ne subsiste donc que ce plan magnifique où les lèvres d'une femme de l'ombre se posent sur celles d'une femme de la lumière et du pouvoir qui y voit la projection, par le costumage identique, de l'être aimée. Le plan, simplement effleuré et forcément hyper-sensuel puisqu'il est le point d'orgue féminin d'une tragédie sourde, prouve la vitalité du cinéma de Benoit Jacquot quand il s'agit d'être simplement confronter à l'évidence. Malheureusement son langage, de plus en plus, semble à tout prix se contenter d'être anti-expressif, d'être 'pensé' , raide et ancré dans une vieille tradition de film costumé français. Chaque comédien - à l'exception de la fascinante Léa Seydoux - semble ne pas rentrer dans ses costumes ; ni Diane Kruger n'atteint la dimension forcément sacralisée de la Reine que nous partageons par le regard de Sidonie, ni Noémie Lvovsky ne se départit de ce rôle de patronne que le cinéma français lui a maintes fois offert jusqu'à la caricature, et encore moins Xavier Beauvois, dernier venu d'un petit groupe d'amis-réalisateurs dont l'expression de comédiens frise définitivement le grotesque. Tout dans "Les Adieux à la reine" pâtit de cette petite foi en un cinéma privé, fait par un cercle de connaissances qui pourtant n'appartiennent pas du tout à l'imagerie attendue d'une reconstitution. Certes c'est peut-être là la modernité que l'on accorde à Benoit Jacquot mais sa direction d'acteurs est à ce point austère et définitive dans sa volonté de redonner au corps la fonction d'une marionnette et à la voix celle d'un son brut et sans contours que son film est immédiatement figé dans une sensation de 'Faux' permanent. La rigueur de sa vision de metteur en scène dément les vrais pouvoirs de la fiction historique comme de sa réalité ; le film ne semble jamais assez romanesque et cinématographique, et paradoxalement, il ne semble jamais assez juste et concevable. On ne croit ni à l'invention d'une mascarade et d'un déguisement de Sidonie qui acceptera héroïquement, mais dans l'ombre, de se faire passer pour Gabrielle de Polignac, autant que les détails plus précis comme les chorégraphies de scène de groupe ou de figurants qui ne semblent jamais être autre chose justement qu'une illusion, celle d'une reconstitution. Ce monde qui vacille, cette Reine sur le déclin, cette jeune Sidonie troublée par la mort si proche de celle à qui elle lit quelques lignes de Marivaux, la vie dans le château, les ombres troublantes qui animent les regards entre servant et servi, tout dans le film n'est qu'une vaste mise en scène plaquée image par image, séquence par séquence. Il y a à ce sujet une superbe scène où enfin la réalisation semble se fondre dans la matière recherchée, et c'est le seul moment remarquable du film, où à l'annonce de la liste des décapités dans un des couloirs du château, les pensionnaires et les serviteurs s'activent en pleine nuit, entre hystérie silencieuse et effroi. Les flammes dansent dans des couloirs bruns magnifiquement éclairés, les silhouettes frôlent les murs à n'en plus finir, il y a là un mouvement vital dans un endroit mort, restreint, une atmosphère de vie de château, quelquechose d'enfin vrai, d'enfin conquis. Le reste ne semble être qu'une vaine carcasse dévidée et c'est à la fin que l'on croit que le film commence. Las! Ce sont déjà les adieux.