Hormis l’utilisation de la 3D, qui de fait transforme le long-métrage en spectacle vivant, avec l’impression pour le spectateur d’être parmi les danseurs, Pina révèle un dispositif simplissime qui alterne les captations des spectacles sélectionnés par la chorégraphe et les témoignages des membres de sa troupe. Pour le mettre en scène, Wenders a deux excellentes idées : la délocalisation des spectacles et l’utilisation de la voix off pour les commentaires des danseurs. En effet, le cinéaste réussit l’extraction de leur milieu naturel (le théâtre ou l’opéra) des représentations des ballets en les implantant dans des décors naturels surprenants au premier abord, dont l’interaction avec l’œuvre de Pina Bausch apparaît néanmoins très vite comme évidente, logique, tombant sous le sens. Sous la rampe d’un tramway, en plein désert, au sommet d’une carrière ou même en pleine ville, le réalisateur trouve les lieux adéquats, au creux desquels le travail de recherche de la chorégraphe semble prendre et trouver tout son sens et sa valeur. Le film a aussi le mérite en filigrane de rappeler combien Pina Bausch était fidèle (les témoins attestent de nombreuses années passées à son service et même une des nouvelles participantes est la fille de deux danseurs toujours en activité) et combien sa troupe (le Tanztheater Wuppertal) se singularisait par sa mixité ethnique et sa disparité générationnelle.
C’est notamment avec Konthaktof (dont la reprise par une troupe de teenagers sert de toile de fond au formidable documentaire Les Rêves dansants de Pina Bausch) que l’ouverture aux non-professionnels et aux tranches d’âge habituellement écartées de la discipline que l’ampleur et la cohérence de la démarche de Pina Bausch prennent tout leur sens. Elle a effectivement révolutionné le rapport au corps en faisant de celui-ci l’unique support dans les limites de son anatomie, donc de ses facultés, de la représentation pessimiste de la nature humaine. Chez Pina Bausch, le corps est souvent malmené, roulé à terre, brisé, écartelé dans des postions presque incongrues. Tous les éléments constitutifs du corps doivent contribuer à l’exécution du geste chorégraphique et, en écoutant les danseuses, on est soudain surpris de la ressemblance mimétique qui se dessine avec celle qui fut leur mentor. Mais plutôt que les écouter, Wenders donne avant tout à les regarder. Alors que nous entendons les voix des danseurs égrener souvenirs, sensations et anecdotes, nous, nous sommes fixés sur des visages immobiles, rendus graves et tristes par l’absence inconsolable et éternelle qui les envahit au point de les momifier. Il n’est pas dès lors nécessaire d’en rajouter, d’en dire davantage : le chagrin de la perte, la peur du vide et les interrogations sur l’avenir affleurent sur chaque visage, jeune ou mois jeune, européen ou asiatique.
Artiste de la solitude, se questionnant sans fin sur le désir et les mécanismes de l’aspiration qui le régissent, Pina Bausch accède à l’éternité par le film de son ami Wenders qui met à son service la technologie la plus avancée, avec modestie et infiniment de tact et de respect. Grandiose et sublime.