Mais plus que se pencher sur les motivations qui amènent Laure à se présenter comme Michaël aux yeux des autres enfants, habitants du quartier dans lequel sa famille vient d’emménager, le film s’intéresse davantage à montrer la méthode, à décrire les moyens (très concrets, voire prosaïques) par lesquels la transformation – déguisement plutôt que travestissement – s’effectue. D’un format court, déployé sur une cinquantaine de scènes, Tomboy investit deux décors principaux : l’appartement de Laure / Michaël et le terrain de jeu où ont l’habitude de se retrouver les enfants. Le premier, filmé dans la pénombre rafraichissante de la chaleur estivale, est un cocon protecteur où trône la mère, enceinte et souvent alitée, contre laquelle ses deux filles se réfugient. Il est aussi l’endroit privé et secret de l’intimité complice de Laure et Jeanne, la seconde, emblème de la féminité dans tout son éclat, devenue la confidente et la comparse de l’aînée. À l’inverse, les scènes extérieures (parties de football, baignades, jeux divers) sont baignées d’une lumière solaire et éclatante. Le contraste des ambiances, souligné par le soin apporté au découpage et au rythme des séquences, illustre d’évidence celui des sentiments ambivalents et contradictoires qui peuvent animer un enfant de dix ans.
Tomboy se charge progressivement d’une dramaturgie simple et efficace : à quel moment, dans quelle circonstance la mystification de Laure va-t-elle éclater au grand jour ? Un suspense auquel le spectateur est associé, tant l’indétermination constitue le fil conducteur du film. Au cours d’une séance de maquillage, la réalisatrice réussit l’incroyable exploit de faire ressortir le côté garçon de Laure pourtant fardée, la bouche et les yeux peints. Tour à tour, on a l’impression de voir à l’écran une fille et un garçon, sans que jamais il n’y ait vulgarité ou expression tendancieuse. Au contraire, dans l’enregistrement des mouvements des jeunes corps qui tient beaucoup de la chorégraphie, il ya a infiniment de tendresse et de respect.
Au-delà des questions de genre ou d’identité, Céline Sciamma investit à nouveau le champ de l’enfance avec un film énergique et libre, incroyablement doux, d’une belle vitalité et d’une intelligence limpide, où la question du regard de l’autre est centrale et déterminante. À l’âge de la construction, personne ne sera en peine de voir dans le geste de Laure le précurseur d’un trajet radical et marginal ou au contraire une parenthèse sans conséquence. Au final, peu importe puisque l’ambition de l’auteur n’est pas d’ordre psychologique, mais d’abord sensoriel dans la justesse de la captation infiniment sensuelle d’un été dont on pressent bien qu’il pourrait marquer la fin d’une époque, le début déjà si précoce des regrets et de la nostalgie.