Deuxième long-métrage de Céline Sciamma après "Naissance des pieuvres", "Tomboy" vient confirmer le talent et la personnalité de cette réalisatrice originale qui se soucie peu des sentiers battus. Une nouvelle fois, elle part à la rencontre de la sexualité infantile, sujet délicat voire brûlant, mais qu’elle réussit à traiter avec une pudeur et une simplicité étonnantes… "Tomboy" ("Garçon manqué" en anglais), c'est l'histoire de Laure,
une fille de 10 ans un peu paumée qui veut être tout sauf une fille. Mettre des robes, se maquiller, se coiffer : tous ces trucs, c'est pas pour elle. Elle vient d’emménager avec le reste de sa famille (dont sa petite sœur avec qui elle a une grande complicité, Jeanne) dans un nouveau quartier. Très vite, elle fait la connaissance de Lisa, sa nouvelle voisine de son âge, qui le prend pour un garçon et qui l’intègre vite dans sa bande de copains. Nouvelle dans le quartier, elle va se faire passer pour Michaël auprès de ses nouveaux amis. Son physique androgyne va l'aider à conserver son petit secret. Mais pour combien de temps ? Laure devra tout au long du film tout faire pour ne pas dévoiler aux autres qu’elle est en réalité une fille (par exemple, elle devra s’éloigner dans la forêt pour faire ses besoins, elle hésite à enlever son t-shirt pour jouer au foot, est obligée de se fabriquer un pénis en pâte à modeler pour aller à la piscine, etc...)
. Très vite, nous comprenons alors que l'héroïne de l'histoire cherche justement à se définir, coincée dans un corps dans lequel elle ne se reconnaît pas. Elle travaille alors
ses attitudes afin de gagner en virilité, à travers des comportements stéréotypés qui vont lui permettre d'intégrer le groupe des garçons de son âge sans que ces derniers ne se doutent un seul instant de sa réelle identité
. Le groupe d'enfants, amis de Lisa, la fille dont Laure tombe petit à petit amoureuse, est représenté de manière très authentique, autant dans leur amusement (quand ils jouent au foot, se baignent, jouent à "action ou vérité"), leur puérilité (quand ils parlent de manger leurs crottes de nez), et aussi leur cruauté (à la fin,
ils humilient Laure en forçant Lisa à baisser sa culotte pour vérifier son sexe, tout en manifestant des comportements sexistes et homophobes en déclarant à Lisa qu'elle est sale d'avoir embrassé une autre fille
). Autrement que
dans cette humiliation finale de Laure
, toute la violence du film réside dans le fait qu'à la fin
Laure se retrouve forcée par sa mère à dévoiler sa véritable identité, après qu’elle se soit battue avec un garçon de la bande d’amis de Lisa suite au fait que celui-ci ait blessé Jeanne, la sœur de Laure
. On a une révélation progressive : d’abord
au garçon dont la mère s’est plainte à la mère de Laure, puis, plus dérangeant pour Laure, à Lisa qui est naturellement bouleversée d’apprendre la vérité. Il y a d'ailleurs une scène très ironique quand Lisa "déguise" Laure en fille. Le film se finit sur la naissance de la sœur de Laure et sur Laure qui rejoint Lisa et lui avoue son véritable prénom
. Ce film est ainsi donc en réalité un véritable thriller psychologique qu'on suit en apesanteur, ravi et anxieux à la fois, qui parle avec authenticité des premières relations amoureuses à l’âge de l’enfance. Le scénario est original, il y a une superbe mise en scène, et des comédiens d'un naturel incroyable, ainsi qu'une très belle photographie qui sublime le cadre estival très sympathique du film, qui nous plonge dans cet été avant la rentrée des classes ayant pour décor un appartement situé dans un quartier d’habitat collectif au pied d’un parc. Le parti pris est de filmer les enfants à leur hauteur, et les parents sont presque toujours hors champ. La réalisation est très simple, très sobre. Les jeux (football, bataille d'eau, baignade...), qui ont une place importante dans le film, rythment celui-ci et se révèlent souvent être des épreuves pour Laure/Michaël. Avec ce film, et sans aucune tricherie ni effets inutiles, Céline Sciamma filme cette tranche de vie avec simplicité, subtilité, douceur et sincérité, ce qui est déjà une grande prouesse tant le sujet du film (l'identité sexuelle chez les préadolescents) est un sujet très délicat. On reconnaît parfaitement le style et les thèmes (la préadolescence et la recherche de soi-même, la crise d'identité, l'éveil sexuel et sentimental...) de la réalisatrice du brillant "Naissance des pieuvres", qui évite à chaque instant la dissertation et les grandes thèses sur l’homosexualité qui pourraient venir appesantir le propos du film. Zoé Héran (Laure) est troublante et nous fait partager malgré nous toutes les émotions liées à la recherche de son identité sexuelle : l’angoisse du rejet, la peur d’être découverte, mais aussi l’excitation du risque encouru alors qu’elle se lance des défis de plus en plus risqués et pourtant si simples, comme se baigner en maillot de bain. Elle a été élue à la sortie du film "Révélation féminine de l'année" et elle le mérite parfaitement. J'ai vraiment été touché par son jeu et j'ai beaucoup apprécié également la petite sœur de Laure, Jeanne. J'ai trouvé qu'elle était vraiment naturelle et drôle, elle m'a beaucoup ému
lorsqu'elle a décidé de prendre la défense de sa sœur dans de nombreuses situations
. J'ai eu comme une boule dans la gorge quand
la mère de Laure décide de l'emmener voir tous ses amis afin de leur dire la vérité
, c'était l'un des passages les plus émouvants du film. Les dialogues entre Laure et sa famille, que ce soit avec sa petite sœur ou bien avec ses parents, étaient vraiment naturels, j'ai eu comme l'impression d'être dans la maison de cette famille et de participer à leur conversation moi aussi. Laure et sa jeune sœur (incroyable authenticité de cette jeune actrice adorable) ont une complicité exceptionnelle. La relation de Laure avec sa mère est aussi pleine de confiance et de respect. Bref, "Tomboy" est un film fin, intelligent, délicat et cruel. Céline Sciamma prouve après le très réussi "Naissance des pieuvres" qu'elle comprend parfaitement la psychologie enfantine et adolescente, et le trouble identitaire et sexuel qui va avec. On regrette néanmoins le parti pris descriptif et la neutralité du scénario qui se traduit par l'absence de posture militante. Cela reste une superbe histoire reposant sur le regard des autres et de soi. Ce film interroge la question de l'identité sexuelle avec efficacité, simplicité, douceur et poésie. Il n'y a absolument rien de dangereux dans ce film pour l'avenir de notre civilisation et des enfants et je ne comprends absolument pas toutes les polémiques dont ce film a pu faire l'objet. Bien au contraire. Il s'agit d'un film plein de finesse, de pudeur, d'intelligence, sur la difficulté à tous les âges (et c'est parfois pire dans l'enfance) à trouver sa place parmi les autres, surtout quand on se sent très différent. L'interprétation est magistrale et le choix de placer le personnage de Laure dans une famille bienveillante donne une idée encore plus forte de la souffrance que peuvent ressentir d'autres enfants dans d'autres familles (la scène où
la mère demande à sa fille ce qu'elle peut lui proposer comme autre solution est sur ce point absolument et véritablement remarquable
). Pour ma part, ce film mérite amplement d'avoir reçu le Prix du public. C'est un film magnifique, intelligent et émouvant qui nous amène à de vraies questions existentielles à l'heure où seules l'Argentine et la Californie ont pris des mesures politiques pour favoriser l'intégration des enfants transgenres dans la société alors qu'en France et dans les pays de l'Union européenne rien n'a encore été fait ou décidé malgré les directives européennes. Un très bon film français, un très beau drame et un film intéressant à voir pour sa culture générale